Stabat Mater de Rossini, sacrées musique et Yoncheva à la Philharmonie de Paris
Domingo Hindoyan propose une version théâtrale très contrastée, menée à
un tempo soutenu, révélant la force dramatique de cette œuvre
tardive signée par un maître
italien alors qu’il a cessé de composer pour la scène, mais
qui en
présente encore tous les ingrédients (même style mélodique que
dans ses opéras, formules d’accompagnement systématiques,
cadences virtuoses). Seules quelques pages témoignent d’un
style plus ecclésiastique (quatuor a cappella Quando
corpus et la fugue finale), offrant une synthèse entre style lyrique et
style religieux, entre solennité et débordement par
lesquels le
chef vénézuélien instaure une proximité avec les musiciens.
Cherchant
sans cesse leur regard, il
insuffle
son énergie avec enthousiasme. L’Orchestre de chambre de Paris
convoque l’ardeur demandée dès les premières montées aux
violoncelles dans une nuance et un tempo favorisant le drame plus que
le mystère. Les cuivres tumultueux participent à la fougue,
notamment dans Inflammatus
et accensus (flammes éternelles), sans
jamais couvrir les chanteurs, le chef demeurant attentionné à préserver
l’équilibre sonore de l’ensemble.
Découverte de Sonya Yoncheva hier soir à la @philharmonie dans #Rossini ! Cela m’a donné envie d’en voir/écouter plus pic.twitter.com/QRwbPQN5B5
— Laurent (@rambaula) 29 mai 2019
Les quatre solistes de la soirée assument les difficultés de l’écriture rossinienne (large ambitus, grands intervalles) et s’accordent avec l’interprétation théâtralisée insufflée par le chef. Sonya Yoncheva, très en formes (dans l’attente d’un heureux événement), emplit la grande salle de la Philharmonie de sa voix à l’ampleur époustouflante. Son chant culmine justement avec Inflammatus et accensus, révélant l’artiste verdienne au dramatisme bouleversant. L’homogénéité est remarquée à travers les deux octaves balayées par cet air : les graves chaleureux et ronds, les aigus conduits et épanouis offrant une montée en puissance sur les deux contre-ut, submergeant l’auditoire de vibrations sonores. Le ténor Celso Albelo colle à la vision opératique de l’œuvre. Dans Cujus animam (Dont l'âme), sa voix placée très haut dans les résonateurs (jusqu’à faire entendre une certaine nasalité) insuffle une vaillance qui culmine sur le ré bémol aigu projeté sans sourciller. Cette nasalité disparaît lorsqu’il adoucit sa voix et chante la reprise du thème dans une nuance suave. Ses finales (moerebat, dolebat) brèves et accentuées donnent un caractère sautillant, interrompant le legato subtil qu’il parvient à rendre sur les rythmes pointés de l’air.
Roberto Tagliavini assume la partie de basse avec solennité. Vigilant sur toutes les notes, son phrasé en impose dans un long souffle, offrant une variété de couleurs selon le texte : une certaine douceur sur desolatum et une forte projection sur flagellis. Bien que montrant une légère faiblesse sur les notes les plus graves, sa voix parvient homogène et présente au sein du quatuor. Aux cotés de ces trois personnalités musicales, Chiara Amarù peine à s’imposer. Peu audible au sein des ensembles, elle s’affirme davantage dans le duo Quis est homo et l’air Fac ut portem. Son timbre riche et précis effectue cependant les grands intervalles de son air de façon homogène et, si les graves sont quelque peu serrés, les aigus brillent dans une belle projection.
Le Chœur de Radio France, préparé par la cheffe Martina Batič, interprète ses parties avec un son rayonnant et ample. Attentif aux impulsions de Domingo Hindoyan, il se déchaîne dans l’exubérance de la fugue finale, n’évitant pas de légers décalages furtifs avec l’orchestre, ce qui n’entache pas sa grande implication.
Critiqué par certains artistes allemands qui trouvaient la musique de Rossini « trop sensuelle et trop divertissante pour un sujet religieux », le Stabat Mater fut encensé par le public parisien lors de sa création et ce soir dans la salle Pierre Boulez de la Philharmonie, Donizetti pourrait encore s’écrier: « L’enthousiasme était indescriptible ! »