Les Saltimbanques flamboyants à l'Opéra Grand Avignon
Cet opéra-comique au caractère d'opérette fut un triomphe en son temps, emportant le public dans une aventure des plus farfelues que Mireille Larroche et son équipe revisitent ici jusqu'à réécrire un texte moderne. Enchaînant les tableaux et nombreux costumes colorés très variés, généreuse et dynamique, la mise en scène moraliste veut rappeler la précarité des intermittents du spectacle de nos jours. Elle peut s'appuyer pour ce faire sur la qualité limpide d'une intrigue aux caractères et à l'univers marqué, le tout tournant autour de Suzanne, recueillie et élevée par le couple Malicorne (rappelant les Thénardier) qui dirige un cirque ambulant. En grandissant, elle conquiert le public, la troupe et quelques cœurs dont l'excentrique Grand Pingouin, le clown Paillasse ainsi que le charmant journaliste et comédien André. Suite à une altercation avec ses parents d'adoption et lassée de cette vie, la jeune fille s'enfuit avec ses amis et forme une nouvelle troupe sous la protection du Comte de l’Étiquette.
“C'est l'amour qui flotte dans l'air à la ronde. C'est l'amour qui console le pauvre monde. C'est l'amour qui rend chaque jour la gaîté. C'est l'amour qui nous rendra la liberté !”
Le Ballet de l'Opéra Grand Avignon ainsi que les circassiens donnent vie à la troupe et proposent des performances hautes en couleur. Brillant dans le rôle principal, la jeune soprano jordanienne Dima Bawab (qui fit des débuts avignonnais en 2017 dans le rôle d'Amour pour Orphée et Eurydice) se montre polyvalente et rassurante du début à la fin, avec un charme naturel et authentique. La voix finement perçante dans les aigus, parce que bien projetée, conserve la qualité du timbre. Elle se distingue dans un air tzigane “Djelem Djelem” (rajouté à la place de l'air “La bergère Colinette” jugé trop ancien pour cette version).
Membre du Chœur de l'Opéra d'Avignon depuis 2017, Ségolène Bolard sait se faire entendre dans le rôle de Marion : hormis dans le grave peu audible, la voix est homogène en sonorités. La présence scénique est également renforcée par sa prononciation du texte parlé (toutefois encore mal cernée pour le chant). Dans le rôle du Grand Pingouin, le baryton Frédéric Cornille offre son énergie vocale avec des notes chaudes et généreuses. Son acolyte, le Paillasse de Cyril Héritier est émouvant et très justement placé en harmoniques dans le médium, bien que parfois un peu trop sur la réserve. Poussant jusqu'au bout la référence au Paillasse (l'opéra Pagliacci de Leoncavallo), il interprète au milieu du public “Vesti La Giubba”, air célèbre mais redoutable qui est ici victime de craquements, aigus dérapant et d'une voix étouffée. Jouant l'un des prétendants de la jeune Suzanne, le comédien et journaliste André, interprété par Jean-François Baron, démontre une énergie débordante au point que les aigus manquent encore de souplesse et de rondeur, excepté dans son léger et gracieux duo avec Suzanne.
Considérés comme les méchants de l'histoire, le duo machiavélique formé par Monsieur et Madame Malicorne s'accordent dans le jeu. Tous les deux issus du conservatoire Grand Avignon, la soprano Raphaële Andrieu (qui avance bien sur le parlé-chanté) et le baryton Alain Itlis (voix claire, limpide, sans anicroche et plaisante) se montrent complices et investis par leurs personnages. Le timbre lyrique et sonore du baryton Nicolas Rigas est particulièrement remarqué dans le rôle du Comte de l’Étiquette et du producteur. La voix est chaleureuse, large, naturellement sonore et s'intègre pleinement à son rôle. Enfin, le couple Bernardin est joué avec subtilité et audace par Julie Mauchamp et Laurent Dallias.
À cette équipe s'ajoutent de plus petites apparitions, essentielles pour faire avancer l'affaire : les comédiens Pascal Joumier pour Rigodin et le producteur TV, Martin Loizillon dans le rôle de l'ingénieur du son ainsi que Jean-Baptiste Saunier en responsable du catering et patron d'hôtel.
Le Chœur de l'Opéra est aussi engagé vocalement que scéniquement et donne bonne matière à l'histoire. Sollicités dans cette production, ils participent activement, jusqu'aux pétillantes chorégraphies toujours dans la puissance et l'équilibre vocal avec un entrain (dé)mesuré, ou au contraire, une sensible virtuosité.
Le chef Alexandre Piquion et les musiciens de l'Orchestre Régional Avignon Provence relèvent le défi d'accompagner de nombreux artistes pour cette musique que Reynaldo Hahn décrivit avec justesse comme "toujours allègre, éclatante, lumineuse, gracieuse, bien charpentée, robuste et pimpante".