L’offrande musicale de Pâques d’Alondra de la Parra : le cor des voix
À la manière des concerts du 19e siècle, la programmation mélange -de manière savamment équilibrée- symphonique, concertant et lyrique pour se consacrer entièrement à Mozart. Le concert ouvre et ferme l’espace d’un parcours biographique et stylistique entre les deux portails que sont les Symphonies n°20 et n°34, l’une encore galante (Mozart avait seize ans), l’autre déjà pré-romantique (huit ans après) et qui constitue son adieu à Salzbourg. En son centre se répartissent et se réunissent harmonieusement des pages lyriques portées par la soprano russe Olga Peretyatko, et concertantes, relevées par le corniste Felix Klieser. Période de Carême oblige (peut-être), les œuvres assemblées par la cheffe mexicaine sont toutes sérieuses et recherchées, véritable passion musicale, faite de stations classiques mais originales.
Alondra de la Parra paraît certes fougueuse, mais elle surgit surtout avec élégance (costume noir, jabot blanc et sourire solaire) et une gestique globalement aérienne capable de subtils glissements entre militaria et passionaria. Le corps entier de la cheffe est traversé par de petits soubresauts, extraordinairement précis et contrôlés, afin de donner et maintenir l’impulsion rythmique d’un répertoire qui doit encore beaucoup au baroque et à la danse. Elle est, tout à son travail de synchronisation, un arc tendu, dont la flèche est la baguette. Les mouvements lents sont envoûtants, les finals crépitants. Les textures mozartiennes sont particulièrement lisibles grâce à une mobilisation qui semble très personnalisée avec les différents pupitres, et plus particulièrement les vents. Il y a de la fraîcheur, du naturel, de l’intelligence dans sa conception. L’expression est libre mais non spectaculaire. Elle sait, en gardant la même générosité, replier les grandes ailes de ses bras dans les plages concertantes. Elle calibre ses envolées gestiques avec le souci de laisser leur autonomie aux solistes : humilité appréciable. La Camerata de Salzbourg produit un son caractérisé par l’homogénéité et l’individualité des voix, mises au service des textures fines et percutantes du chambriste mozartien : velouté des cordes, rondeur de la flûte, sinuosité des hautbois, percussion colorée des cuivres.
La soprano Olga Peretyatko interprète ainsi des airs, extraits des ouvrages lyriques les plus sérieux de Mozart. La plastique sculpturale de la cantatrice éblouit et convient à ce répertoire monumental, solennisé par un chœur à l’effectif de Requiem. L’expérience entraîne la musique vers l’oratorio baroque et l’interprétation lyrique vers le bel canto pré-romantique. Il y a de l’ampleur, de l’amplification, du fruit généreux dans l’aigu comme dans le medium, du pathétisme dans le souffle, le timbre et l’expression, mais le legato est cependant plus enrobant qu’envoûtant, la vocalisation floue est émaillée d’éclats colorature et des trilles s’enrayent ou déraillent vers le grave.
Félix Klieser, après son interprétation du Concerto pour cor et orchestre en mi bémol majeur, offre le tapis chaud de son timbre à la soprano en deuxième partie dans Mitridate. Cet artiste dissout toute l’évocation de son instrument au « grand air », militaire ou de chasse, joué à « cor et à cri », par la consistance harmonieuse des harmoniques. Le cor semble ici emprunter au corps et au chant humain.
Le Chœur de l'Orchestre de Paris, à qui est consacré un moment propre, dans un extrait d’Idomeneo, « Godiam la pace », se montre chaleureux et impliqué. La soirée s’achève par un bis orchestral, la reprise du dernier mouvement de la symphonie, les dernières notes salzbourgeoise du maître. La salle réserve un triomphe à la jeune cheffe mexicaine, dont le doigté humain et mozartien, articule avec cohérence les dimensions stylistiques de cette période de transition entre baroque et classicisme.