Dante de Godard ressuscité à l’Opéra de Saint-Étienne
L’Enfer et le Paradis dans la Divine Comédie de Dante Alighieri (poète et homme politique florentin mort en 1321) traversent les siècles, inspirant de nombreux artistes depuis la Renaissance et particulièrement lors de la période romantique. Le librettiste Édouard Blau et le compositeur Benjamin Godard (1849-1895) s’inscrivent dans cette lignée, en s’intéressant toutefois davantage à l’auteur et à son amour –passionnel voire divin– pour la Dame adorée, Béatrice Portinari. Les allusions "dantesques" n’apparaissent que brièvement lors d’un rêve du poète à l’acte III (ce qui fut reproché au compositeur lors de la création de l’ouvrage à l’Opéra Comique en 1890). Si la musique reste loin du wagnérisme et de l’originalité qui enflamme l’Europe d’alors, elle convoque certains chromatismes, des motifs suggestifs et récurrents, la texture orchestrale et l’intensité des chœurs impressionnent et s’allient à l’expressivité mélodique.

Le metteur en scène Jean-Romain Vesperini adopte cet esprit en des tableaux fantasmés de l’époque médiévale. Le décor unique (signé Bruno de Lavenère) tourne pour légèrement modifier ses angles, à l’aspect sombre et massif par ses sept hautes colonnes et une double passerelle avec escaliers en hélice. Les costumes de Cédric Tirado, aux couleurs unies, paraissent tout aussi sobres, suggérant grâce aux détails, aux lumières (Christophe Chaupin) et par les accessoires, bijoux et armes.

Le personnage principal est incarné par Paul Gaugler, ténor aux accents héroïques, scéniquement sûr et maître de sa technique vocale, avec une certaine légèreté dans la conduite de ses phrasés mais une voix se montrant souvent tranchante (tout de même un peu engorgée). La soprano Sophie Marin-Degor interprète avec sensibilité la douce et belle Béatrice, faisant entendre des aigus lumineux, mais des médiums et graves plus affirmés seraient nécessaires pour asseoir sa présence sur scène, comme des consonnes plus marquées permettraient de comprendre parfaitement son texte. Elle laisse toutefois le souvenir touchant de son air sincère et sans artifice « Dante, mourir, mourir sans te revoir » (acte IV).

Ami, puis ennemi, puis de nouveau ami de Dante, son rival Simeone Bardi est fièrement chanté par le baryton Jérôme Boutillier, qui ne se montre pas avare de beaux phrasés, d’une diction impeccable, d’un timbre éclatant ou noir selon les états de son personnage. Quelques discrets regards en direction de la fosse trahissent une concentration qui peut assurément davantage faire confiance à ses talents : il est vocalement et scéniquement convaincant, toujours très en place et juste (en particulier dans son air « Comme sur nous s’est assombri le ciel ! »). Gemma Donati, confidente de Béatrice qui souffre entre son amour pour Dante et sa loyauté envers son amie (mais dont les airs demeurent davantage jolis que saisissants), est interprétée par la mezzo-soprano Aurhelia Varak, au timbre moelleux dans les graves et les médiums, au vibrato parfois un peu trop ample.
La noblesse du sage Virgile par Frédéric Caton a la projection dosée avec soin et un timbre justement sombre dans les médiums graves, contrastant avec l'angélisme de la voix claire pour son Écolière Diana Axentii. Cette dernière annoncée légèrement souffrante laisse effectivement paraître une petite faiblesse de souffle dans les fins de phrases, pourtant la projection passe au-dessus des choristes sur un un vibrato maîtrisé.
Enfin, bien que l'intervention soit brève et chantée depuis les coulisses, Jean-François Novelli fait entendre un Héraut d'armes à la projection claire et très compréhensible.

Les 48 choristes préparés par Laurent Touche ont la part belle, avec des interventions magistrales et puissantes, dont l’homogénéité et la synchronisation peuvent certes être améliorées, mais qui ne font pas défaut pour l’angélique « Gloire à celui qui rayonne », depuis le balcon, en hauteur et derrière les spectateurs. Dans la fosse, le chef Mihhail Gerts conduit les phrasés d’un Orchestre Symphonique Saint-Étienne Loire riche en couleurs équilibrées, ferme et sensible.
Une fois encore, l’Opéra de Saint-Étienne peut se vanter d’avoir ramené à la lumière une œuvre injustement oubliée.
