La hantise de l’abîme : Stéphanie d’Oustrac invoque les esprits en récital à Toulouse
Le
concert offre en grande partie la matière enregistrée par Stéphanie d’Oustrac et Pascal Jourdan sur leur nouveau
disque :
Sirènes
(Harmonia
Mundi). Six Lieder
de
Liszt sur des poèmes de Goethe et Heine bercent
La Mort
d’Ophélie
et Les Nuits d’été de
Berlioz. Nouveauté
toutefois par rapport à l’album : deux
chants de Pauline Viardot en
ouverture et théâtral hommage franco-russe (Scène
d’Hermione
d’après
Andromaque
de Racine, Évocation
sur
Pouchkine).
Pauline Viardot tient
même une place capitale, en tant qu’élève
de Liszt et muse de Berlioz, la
compositrice et les compositeurs qui partagent
un
même esprit romantique et mélancolique : le chant de
la sirène et une
hantise de l’abîme. Hormis
la Loreley
de
Liszt et
Heine,
les
sirènes ne sont toutefois pas ici des personnages
mais des appels au spectre d’une rose, Ophélie qui flotte, à une colombe sur une tombe ou bien la mort même, désirée.
Stéphanie d’Oustrac s’impose immédiatement dans la salle avec le monologue tiré de Racine, un petit opéra à lui
tout seul, entre
colère
et larmes de l’amour outragé, imposant les extrêmes de l’ambitus
dans
la diversité technique et interprétative de l’artiste. La mezzo-soprano déploie sa voix opulente, qui maintient sa richesse dans le registre
supérieur, avec des suraigus ruisselant d’harmoniques
et de très
fins
pianissimi.
Pascal Jourdan au piano est son complice, jouant avec délicatesse, mais aussi une virtuosité lisztienne quand il le faut. Son piano peut devenir un immense instrument de percussion aussi bien qu’un instrument à cordes très legato. Ensemble, les deux musiciens sculptent les phrases avec une sensibilité raffinée et personnelle qui exalte la beauté des Lieder de Liszt en particulier. Dans une interprétation des Nuits d’été de Berlioz, également très personnelle, très habitée, Stéphanie d’Oustrac ose la disparition vocale et réussit à faire sentir une hantise fantomatique.
Si le disque Sirènes peut manifester un certain aspect minimaliste de l’interprétation (volume très retenu dans des tempi très soutenus), d’Oustrac vitalise les chansons sur scène, par son visage lumineux et ouvert, son corps gracieux et ses gestes qui prolongent la musique à travers les silences. Outre la féminité de ses longs cheveux, sa fine silhouette accentuée dans un tailleur blanc et de très haut talons, l’artiste réussit par un tour de passe-passe (les mains dans les poches ou derrière le dos, un nouveau port de la tête) à se transformer instantanément en garçon. Il est vrai qu’elle choisit alors de retenir la voix en dedans, plutôt que d’effectuer un plus radical changement de timbre ou de couleur pour l’effet pianissimo dans le milieu de la voix et les graves.
Mais c’est aussi le choix d’une chanteuse, si reine.
Retrouvez notre récente interview de Stéphanie d’Oustrac et réservez vos places pour la voir : en Instant Lyrique à l’Éléphant Paname puis dans Hippolyte et Aricie de Rameau au Théâtre des Champs-Élysées