Berlioz, un Salon Romantique au Musée Jacquemart-André
Des 2 723 places de Bastille aux quelques dizaines de sièges installés dans le Salon de musique du Musée Jacquemart-André, du bâtiment moderne fêtant ses 30 ans où la toute première et la dernière production lyrique (en date, au jour du concert) furent Les Troyens jusqu'à ce salon Second Empire, l'anniversaire d'Hector Berlioz (fêté il y a 150 ans) prend des formes aussi riches et diverses que son catalogue et son talent.
Preuve en est ce soir dans ce lieu intime puisque les morceaux musicaux alternent avec des lectures de textes écrits par Berlioz. Plutôt que de "textes", il faudrait parler d'œuvre littéraire et théâtrale tant les Mémoires et la Correspondance de Berlioz expriment une plume poétique contant les passions déchirantes, les amours bouleversantes, mais aussi l'ironie et le sarcasme du compositeur (se sentant) méprisé dans son pays. Plutôt que de "lecture" il faudrait parler de jeu, d'incarnation même tant le comédien Alain Carré vit les souffrances et les exaltations de Berlioz, revit les amours de son existence (femmes et musiques), ses deuils (pour son œuvre incomprise, pour ses proches). L'acteur-interprète met indéniablement à profit sa connaissance des musiciens du XIXe siècle auxquels il a déjà consacré des spectacles, notamment à travers leurs écrits (Chopin, Beethoven, Liszt, Berlioz déjà). Les mots montrent leur qualité, notamment de rythme dans cette interprétation à la prosodie mélodieuse, aux effets justement lyriques, appuyés sur une voix caverneuse qui sait s'illuminer, ronde et profonde.
Laurent Naouri semble ainsi naturellement lui répondre par une articulation aussi délicate que ferme. Certes, le baryton est ce soir malade. Nul besoin d'annonce, il ne cache ni la bouteille de sirop qui trône sur le guéridon auprès duquel il s'assied pour savourer le jeu du comédien, ni l'inhalateur dont il se sert également dans les interludes. Cependant, sans ces indices ostensibles, le doute aurait pu être permis tant l'interprète sait convoquer son métier, ménageant ses effets, ses appuis et ses accents sur les acmés des phrases. La fatigue n'empêche nullement d'apprécier l'assise et l'accroche du son, son art consommé de la projection par un souffle large (le son pouvant être projeté en étant sculpté : nul besoin qu'il ne soit fort). Les passages puissants le sont d'ailleurs indéniablement, mais ils sont heureusement atténués par des teintes plus douces, piano, dolce, mezza voce adaptées à l'acoustique d'un salon (alors que cet interprète n'avait pas ménagé ses décibels, dans le cadre boisé de la salle Cortot lors d'un précédent concert). La ligne est certes parfois fluctuante dans l'accroche des aigus, mais les toux ne surgissent qu'assez silencieusement durant les silences et l'ensemble de la prestation souligne aussi comme une faiblesse combattue et combative, à l'image de la vie et de l'œuvre d'Hector Berlioz. Le chanteur peut en outre s'appuyer sur l'accompagnement tonique et nettement accentué de Jacqueline Bourges-Maunoury, constamment appliquée à garder le tempo.
Hommage est ainsi rendu à ceux que Berlioz nomme ses Dieux (Gluck et Beethoven) mais aussi à la mer que Berlioz admirait (Lied maritime de Vincent D'Indy), aux grands élans de douceurs romantiques et poétiques (Lieder de Schubert et Schumann mis en relation avec leur équivalent français : la mélodie française de Berlioz, en l’occurrence Les Nuits d'été par lesquelles il donne au genre ses lettres de noblesse), au génie Wagner avec lequel Berlioz correspondait en toute amitié, lui demandant de ces nouvelles partitions qu'il appréciait.
L'amour et la musique "sont les deux ailes de l’âme" écrit Berlioz quelques lignes avant d'achever ses Mémoires, comme le sont ce soir en ce Salon Romantique, sa musique et sa poésie.