L’esprit de Noël se poursuit à la Philharmonie avec L’Enfance du Christ de Berlioz
C’est d’une plaisanterie musicale que naissent les premières pages de cet oratorio. L’anecdote est heureuse : au cours d’une soirée, Berlioz s’ennuie et griffonne un morceau de musique. Afin de tromper la presse et le public, il le signe du nom de Pierre Ducré, « maître de musique de la Sainte Chapelle au XVIIe siècle ». Ainsi naît l’Adieu des bergers à la Sainte Famille, pastiche de musique baroque, faisant partie du deuxième volet de l’œuvre intitulée La fuite en Égypte. En y ajoutant deux parties supplémentaires, L’arrivée à Saïs et Le songe d’Hérode, Berlioz conçoit un vaste triptyque, L’Enfance du Christ, qu’il surnomme « Ma petite sainteté ». Créée en 1854, l’œuvre remporte un vif succès que le compositeur estime presque outrageant pour ses autres pièces « qui n’eurent pas dans l’origine tant de bonheur à Paris et qui peut-être avaient plus de valeur ».
L’œuvre fut dirigée par Berlioz à sa création le 10 décembre 1854, et c’est à Douglas Boyd qu’en revient la responsabilité pour cette soirée. Directeur musical de l’Orchestre de chambre de Paris depuis plus de trois ans, sa connivence avec la phalange semble évidente et, ensemble, ils offrent une palette de couleurs riche et variée. Nul gigantisme orchestral dans cette fresque religieuse où les cordes dialoguent souvent seules avec les bois dans une nuance suave. Les instrumentistes enchantent, notamment lors du trio de la troisième partie : les deux flûtistes et la harpiste sont chaleureusement applaudis à la fin du concert.
Le ténor Frédéric Antoun interprète les récits reliant les différents épisodes de l’œuvre. Son timbre clair et précis délivre le message dans une grande intelligibilité. Son chant très nuancé s'affirme dans une belle projection et sait moduler subtilement en voix mixte. Sa dernière intervention reflète la grande douceur de l’œuvre en fusionnant sa voix au son du chœur (Ô mon âme), un filet sonore répondant à l’Amen final des femmes intervenant depuis les coulisses.
Jean Teitgen interprète Hérode dans l'une des rares parties dramatiques de l’œuvre. Sa voix de basse époustouflante de résonance et de rondeur sur toute la tessiture exprime à merveille l’angoisse d’un roi devinant la menace qui pèse sur son pouvoir (Ô misère des rois !). Son accroche vocale impressionnante et sa diction irréprochable rendent le surtitrage superflu. En proie à l’insomnie, il évoque la « nuit profonde » en voix mixte et l’ « interminable nuit » sur des notes graves sans jamais perdre le focus vocal. Lorsque les devins lui suggèrent le massacre des Innocents, s’ensuit un dialogue d’une grande intensité, faisant entendre la puissance vocale et dramatique de l’artiste.
Dans un contraste saisissant, les personnages de Marie et Joseph expriment la douceur qu’impose la naissance de Jésus. Une certaine naïveté du texte (Berlioz en est l’auteur) et la couleur modale évoquant les mélodies populaires les font apparaître tels des santons des crèches de Noël provençales. Anna Stéphany, mezzo-soprano au timbre diffus et vibrant offre une grande sensibilité à son personnage de Marie. Elle invoque toute la douceur maternelle dans un halo vocal fluide qu’aucune aspérité ne vient altérer. Toutefois, elle manque parfois de projection et d’engagement notamment dans l’Arrivée à Saïs, lorsqu’elle se heurte à l’inhospitalité des habitants de la ville : son chant traduit alors davantage l’épuisement du personnage (Mon sein tari n’a plus de lait) que la terreur de perdre son enfant (Jésus va mourir, c’en est fait).
À ses côtés, Jean-Sébastien Bou incarne un Joseph plus contrasté. Tout attendri, il répond et mêle sa voix délicatement à celle de Marie lorsqu’ils évoquent la naissance de Jésus. Puis, son chant devient plus puissant et investi, répondant à l’agitation orchestrale lorsqu’il frappe aux portes pour demander de l’aide (Ouvrez, ouvrez, secourez-nous). Les rôles de Polydore (Philippe Souvagie), du centurion (Ivan Goossens) et du père de famille (Jan Van der Crabben) sont tenus très honorablement par des membres du chœur : plus généralement, le Vlaams Radio Koor livre un son homogène, adapté à la douceur qui émane de l’œuvre.
L’Enfance du Christ s’achève par un chœur a cappella transportant le public dans l’éther. Celui-ci, une fois la baguette du chef abaissée, rend un bel hommage à tous les interprètes de la soirée.
"Hélas ! De la Judée, nous arrivons à pied."@StephanyMezzo #JeanSebastienBou @dougieboyd @VlaamsRadioKoor @philharmonie #enfanceduchrist #Berlioz pic.twitter.com/hJdrL0oXAk
— Orchestre de chambre (@orchambreparis) 12 janvier 2019