Des Brigands au sommet du burlesque dans les Chevaliers de la Table Ronde à Massy
Louis-Auguste-Florimond Ronger, dit Hervé, n’est pas le compositeur le plus célèbre de la planète opéra. Bien qu’il soit considéré comme l’inventeur du genre de l’opérette, ses Chevaliers de la Table Ronde n'ont d'ailleurs pas la richesse musicale des meilleures opérettes d'Offenbach. L’intrigue, en revanche, est complexe et digne des plus grands vaudevilles. L’humour, bien mis en valeur par la mise en scène Pierre-André Weitz (scénographe attitré d’Olivier Py), est au rendez-vous. Dans une ambiance rayée de noir et de blanc, évoquant l’enfermement des personnages (et en particulier ceux du couple ducal, au centre de l’intrigue), les décors et costumes du metteur en scène sont admirablement complétés par les lumières de Bertrand Killy qui se ménagent quelques effets avec un jeu d’ombre et l’apparition d’une boule à facettes. A la baguette, Christophe Grapperon dirige douze musiciens dont il tire le meilleur, parvenant haut la main à synchroniser la fosse et la scène dans leurs nombreuses interactions. Sur la scène, d’ailleurs, la joyeuse compagnie étale la richesse de ses talents : danse, mime, chant, comédie, jonglerie… tout y passe et tout s’enchaîne à merveille, les défauts des uns se cachant derrière les qualités des autres.
La distribution des Chevaliers de la Table Ronde au grand complet (© Guillaume Bonnaud)
Au centre de l’opéra se trouve donc le couple composé du Duc Rodomont, interprété par Damien Bigourdan, et de la Duchesse Totoche, campée par Ingrid Perruche. Le premier emprunte un ton et une palette digne d’un humoriste de stand-up. Son accoutrement lui donne d’ailleurs un faux air de Christophe Alévêque ! Il n’est pas en reste lorsqu’il chante, offrant un grain magnifique et une prononciation au cordeau. La seconde manque, certes, parfois de puissance, se laissant submerger par l’orchestre restreint, mais ses vocalises toutes en finesse et son jeu d’actrice font en revanche sensation.
Derrière viennent deux artistes déjà réputés sur les scènes internationales, pour des rôles aux accents plus particulièrement lyriques. La Mélusine de Chantal Santon-Jeffery se distingue par l’accent espagnol que lui prête son interprète, nuisant légèrement à la compréhension de ses parties parlées, mais surtout par la délicieuse subtilité de son chant ! Sa projection est ensorcelante, au point qu’il semble qu’on n’entende qu’elle dans les ensembles. L’accent espagnol de Manuel Nuñez-Camelino, interprète de Médor, n’est lui pas feint. On commence à bien connaître le ténor, mais avons tout de même découvert là une nouvelle facette du personnage. Parfait dans le chant (quelle aisance !), il apporte une réelle profondeur à son personnage, tantôt candide et tantôt déluré.
Lara Neumann et Rémy Mathieu dans les Chevaliers de la Table Ronde (© Guillaume Bonnaud)
La découverte de la soirée s’appelle Rémy Mathieu, dont le personnage de Roland, chevalier de la Table Ronde réinventé en jeune de banlieue, laisse place à un bijou de ténor une fois lancé dans son air. L’interprétation en est fine et nuancée. La voix laisse entrevoir de grandes qualités et l’on souhaite la découvrir rapidement dans des rôles plus conséquents. Lara Neumann campe quant à elle une Angélique simplette, directement inspirée des sketchs des Deschiens : on n’est d’ailleurs pas surpris d’apprendre que sa formation a débuté par le cours Florent, tant ses talents de comédienne sont ici mis en avant. Il en va de même pour le Sacripant d’Antoine Philippot, qui excelle dans l’art de la pantomime et décroche un sourire à chaque intervention : il sait tout faire et offre de beaux passages musicaux. Arnaud Marzorati, alias Merlin, délivre lui aussi une jolie prestation. Ses graves font sensation, et l’on excuse aisément ses approximations rythmiques, étant donné l’énergie investie dans le jeu de comédien au cours de son air.
Lorsque résonne une dernière fois l'air des chevaliers (le tube tyrolien du spectacle), le public frappe les temps dans les mains, manifestement ravi d'une soirée réjouissante.