Terrifiant Mefistofele à l’Opéra de Lyon
Arrigo Boito (1842-1918) est connu pour ses collaborations avec
Giuseppe Verdi (1813-1901) et notamment les livrets d’Otello
ou de Falstaff. Il n’en est pas moins musicien, formé au
conservatoire de Milan. Membre des Scapigliati (Les
Échevelés), groupe de jeunes intellectuels avant-gardistes, il
travaille à transformer en profondeur l’opéra italien, cherchant
à donner naissance à une poésie idéale, nouvelle et puissante, au
service de « l’incarnation suprême du drame » (Il
Figaro-1864). Comme nombre de poètes et de musiciens, Boito
fut frappé par la tragédie Faust (1832) de Johann Wolfgang von Goethe. Il en fit lui-même la traduction et l’adaptation de
l’allemand à l’italien pour son opéra Mefistofele
(créé sous les huées à La Scala de Milan en 1868, remanié avec succès pour Bologne en
1875).
Habitué de l’Opéra de Lyon, le metteur en scène Àlex Ollé, membre du collectif La Fura Dels Baus y a déjà traité le personnage du Diable avec l’Histoire du soldat d’Igor Stravinsky, il interprète ici l’œuvre comme une hallucination d’un psychopathe. Agent de propreté d’un laboratoire, Méphistophélès jalouse l’éminent et sérieux docteur Faust, qu’il imagine manipuler dans un royaume qui serait le sien et où il pourrait goûter lui-même à l’amour que porte la belle Marguerite pour Faust. Au-delà de ses délires, l’épilogue ramène dans la réalité caverneuse de cet homme tourmenté, où il assouvit sa cruauté en égorgeant le pauvre et innocent docteur, qui avait eu le malheur de rester travailler tardivement.
La scénographie consiste en une superposition de quatre décors suspendus, s’élevant ou s’abaissant, conçus par Alfons Flores : l’antre de Méphistophélès apparaît lorsque tout le laboratoire s’élève, permettant de voir ainsi les deux étages. Avec l’estrade de la discothèque, lieu abritant la rencontre de Marguerite et Faust, et le monstrueux promontoire sur lequel s’élève le trône de Satan, le décor devient un chaos au milieu d’une forêt de câbles. Nulle projection vidéo ici (contrairement aux habitudes d’Àlex Ollé), mais toujours une importante utilisation des lumières aux couleurs franches, signées Urs Schönebaum : une prédominance de vert pour le prologue et l’acte I, du rouge ou bleu pour les actes suivants, et même plusieurs autres à la suite pour illuminer la boule à facette que tient Méphistophélès "Ecco il mondo, vuoto e tondo" (Voici le monde, vide et rond – Acte II). Malgré ses effets, de décors et de lumières, malgré l’implication scénique du Chœur et de la Maîtrise de l’Opéra de Lyon, fort sollicités en chœur céleste ou en horde infernale des sorciers et sorcières, avec leurs costumes (signé Lluc Castells), le public semble assez perdu dans cette transposition de l’œuvre, par ce monde imaginaire et inesthétique de Méphistophélès. La compréhension est en effet loin d’être évidente sans la note d'intention, surtout et même pour les amateurs des différentes versions du Faust.

Les phalanges orchestrales et chorales entourent le tourmenté et cruel Méphistophélès, incarné par la basse John Relyea, au timbre sombre et aux graves parfois très impressionnants et saisissants (mais qui pourraient encore s'élargir). Sa haute stature le désigne comme le personnage hors-norme, reconnaissable facilement parmi la foule des choristes et de figurants. Le rôle de Faust est chanté par le ténor Paul Groves, dont les aigus serrés et le manque de projection semblent trahir une méforme, certes moindre après l’entracte du deuxième acte. La Marguerite (également Hélène dans l’acte IV) de la soprano Evgenia Muraveva est très convaincante, avec de lumineux aigus et de chauds graves. Particulièrement dans son air "L’altra notte in fondo al mare" (L’autre jour au fond de la mer – Acte II), où elle sait capter toute l’attention de l’auditeur – malgré des vocalises quelque peu saugrenues et qui amusent certains spectateurs.

Sous la direction de leur chef permanent, l’énergique Daniele Rustioni, les musiciens de l’Orchestre de l'Opéra national de Lyon ne semblent pas totalement convaincus (et peinent de fait à être convaincants). Le Prologue est employé à régler l’équilibre entre la fosse et la scène, pourtant l’orchestre reste trop fort et en désaccord avec le tempo des chanteurs solistes (notamment le jeune Walter du ténor Peter Kirk). La phalange reconnue n'en demeure bien évidemment pas moins efficace dans les moments effrayants, voire surprenants (mais bien moins dans l'émotion). Évidemment grand connaisseur de l’écriture opératique et d’Arrigo Boito, Verdi lui-même avait en son temps décrit la complexité à rendre une spontanéité à ces mélodies méphistophéliques (notamment dans sa correspondance avec le Comte Arrivabene).

L’Opéra de Lyon ouvre ainsi sa nouvelle saison d'une manière assurément ambitieuse et saisissante, avec cet opus trop rarement programmé (mais qui avait récemment saisi les Chorégies d’Orange) !