Concours Georges Enesco : la musique vocale à l’honneur salle Cortot
Les Rencontres Musicales Enesco organisées à Paris comprennent un Concours International de chant se subdivisant en deux sections, la première destinée aux amateurs d’art vocal, la seconde aux jeunes professionnels. Il se distingue des autres concours en mettant volontairement l’accent sur la musique vocale et lyrique du 20ème siècle et bien entendu tout particulièrement sur l’œuvre de Georges Enesco (1881-1955). Le compositeur roumain, violoniste virtuose et pédagogue de premier plan, amoureux de la France où il mena la majeure partie de sa carrière, a publié un certain nombre de mélodies aux accents très personnels. Il est par ailleurs l’auteur d’un ouvrage lyrique proprement magnifique et puissant, Œdipe créé à l’Opéra de Paris en 1936. Chez les jeunes professionnels, ce sont 16 candidats qui ont été retenus par le jury présidé par la grande mezzo-soprano, Viorica Cortez au terme de trois jours d’éliminatoires.
La finale se déroulait Salle Cortot. Comme souvent constaté sur d’autres concours, les sopranos constituent la majorité des finalistes, soit 11 contre deux mezzos, deux barytons et un contre-ténor. Elsa Mehmet (Roumanie) qui ouvrait la compétition démontre un beau legato et un aigu facile dans l’air ravissant d’Elena Papa non mi lasciar tiré du Chapeau de paille d’Italie de Nino Rota. Juliette Allen (Belgique) voix franche au timbre clair aborde avec aplomb l’air d’Anne Trulove No word from Tom du Rake’s Progress d’Igor Stravinsky, tandis qu’Alexandra Anusca (Roumanie) s’essaie avec un joli mezza voce à l’air de Susannah issu de l’opéra éponyme du compositeur américain, Carliste Floyd. Marion Auchere (France) aborde le bel ouvrage de Daniel-Lesur, Ondine et Fangxi Bao (Chine), la valse de Monica du Médium de Gian-Carlo Menotti sans vraiment convaincre. Faustine De Mones (France) se tire avec les honneurs d’un extrait très exigeant de la Lulu d’Alban Berg Wenn sich die Mensche. The Rake’s Progress une nouvelle fois pour Jeanne Gérard (France), fort convaincante dans la mélodie Le Labyrinthe de Karol Beffa tandis qu’Annamaria Kaszoni (Roumanie) s’avère quelque peu débordée par les vocalises de l’air du Feu de L'Enfant et les sortilèges de Maurice Ravel. Dans l’air d’Eurydice tiré du premier acte des Malheurs d’Orphée de Darius Milhaud, Maria-Georgiana Dumitru (Roumanie) paraît incompréhensible malheureusement alors qu’aux demi-finales, elle avait beaucoup mieux convaincu avec le vocalisant Air de la Fée de la Cendrillon de Jules Massenet. De fait, elle recevra le Prix Spécial Massenet remis par l’Association Internationale Jules Massenet à l’issue du concours.
Au niveau des autres sopranos, Eurydice Novak (France), Davidona Pittock (Grande-Bretagne) se limitent aux mélodies. Du côté des mezzo-sopranos, Mélisande Froidure-Lavoine (France) donne une interprétation soignée de l’Air de Conception "Oh, la pitoyable aventure" de L’Heure Espagnole de Maurice Ravel, malgré un manque d’homogénéité dans les registres et de sensualité. Gabrielle Savelli (France) pour sa part avec une ligne de chant un peu hachée aborde The Saint of Bleecker Street de Menotti, l’air de Desideria. Très étrangement voire audacieusement, le contre-ténor roumain Alin Buruiana s’attaque à la grande scène terrifiante de la Sphynge de l’Œdipe d’Enesco, rôle dévolu à un contralto ou un fort mezzo de caractère. Cette page musicale puissamment dramatique, aux sombres profondeurs, parsemée de périlleux écarts et de parties presque parlées, demande expressément l’environnement de l’orchestre et la présence de l’interprète d’Œdipe pour les répliques, afin de conserver toute sa dimension. Malgré les réserves qu’il convient d’émettre sur sa prestation, le jury a souhaité décerner à Alin Buruiana le prix Enesco se conjuguant avec une invitation à chanter le rôle du Prince Orlowski dans La Chauve-Souris de Johann Strauss à l’Opéra de Cluj en Roumanie.
Les deux excellentes surprises du concours concernent les barytons. Premier nommé pour le Grand Prix Opéra, le baryton français Florent Karrer (30 ans) fait valoir une voix parfaitement timbrée et d’un beau métal, épanouie, à l’aigu un peu serré encore. Solide en scène, il donne beaucoup de caractère aux Quatre poèmes de Guillaume Apollinaire mis en musique par Francis Poulenc (un zeste de fantaisie expressive pourrait être ajoutée) et à la Valse de Pierrot issue de La Ville morte de Korngold. Second nommé pour le Grand Prix Opera, Sebastian Gheorghe Balaj (21 ans) s’impose par des moyens imposants, larges, un timbre puissant et accrocheur assurément. Il enlève ses deux mélodies Veselie de Pascal Bentoiu et Changeons propos, c’est trop chanté d’amours d’Enesco avec franchise et efficacité, mais surcharge trop l’air de Nick Shadow "I burn, I freeze" du Rake’s Progress de Stravinsky. Il reste à souhaiter qu’il soit bien guidé ces prochaines années dans sa formation, qu’il apprenne à canaliser et peaufiner des moyens aujourd’hui pleins de fougue.
Au niveau de la mélodie, outre des œuvres d’Enesco déjà rares (Estrene de la rose, Le Galop), sont chantées des pages de compositeurs roumains comme Felicia Donceanu ou Sabin Pautza, mais aussi d’Henri Dutilleux (San Francisco Night), Paul Mefano (Dans le jardin) ou Isabelle Aboulker (Nocturne, La délaissée). Le prix de la mélodie contemporaine est attribué à Faustine De Mones pour son interprétation très investie durant les éliminatoires de l’Amante Macabre, pièce difficile de Michel Decoust. Il convient de saluer les différents pianistes intervenus durant les épreuves, qu’ils soient attachés ou non à l’École Normale de Musique Alfred Cortot, comme le remarquable chef de chant Sébastien Joly. Le Concours International de Chant Enesco demande aux chanteurs d’aborder un répertoire plus actuel et souvent fort éloigné de leur sensibilité habituelle : il convient dès lors de saluer le travail effectué et le courage, sinon la curiosité dont ils font preuve. En clôture, Viorica Cortez remet le prix d’encouragement portant le nom de sa fille disparue, Catalina Cortez, à Sabastian Ghoerge Balaj.