Le rugissant Requiem fait trembler le Festival Berlioz
Le texte du Requiem, messe pour les défunts, a de tout temps inspiré aux compositeurs des œuvres monumentales. L’occasion se présente à Hector Berlioz en 1837, lorsque le Ministre de l’Intérieur français Adrien de Gasparin lui commande une messe de Requiem en mémoire des soldats de la Révolution de juillet 1830. Le compositeur s’y jette « avec une sorte de fureur ». Initialement prévue pour la commémoration de juillet, l’œuvre est finalement créée le 5 décembre 1837 en l’Église des Invalides pour les obsèques du Général Charles-Marie Denys de Damrémont, mort lors de la prise de Constantine. Bien que Berlioz avait pour habitude de diriger ses œuvres, on lui imposa son antagoniste François-Antoine Habeneck pour diriger la création. Malgré une générale désastreuse, lors de laquelle Berlioz dut se jeter sur le podium pour reprendre soudainement la direction de l’orchestre, la première fut un grand succès.
Depuis 2009, le Festival Berlioz propose à de jeunes musiciens et futurs professionnels d’approfondir l’interprétation du grand répertoire français sur instruments historiques avec son académie : le Jeune orchestre européen Hector Berlioz. L’orchestre s’entoure du Chœur Spirito, du Jeune chœur symphonique, du Chœur d’oratorio de Lyon et du Chœur régional d’Auvergne pour proposer en concert d’ouverture du Festival Berlioz le monumental chef-d’œuvre du compositeur isérois, dont débute cette année, dans la cour du Château Louis XI de La Côte-Saint-André, le premier acte du 150ème anniversaire de sa disparition.
L’Introït débute gravement, d’abord avec les instruments avant que le chœur ne prononce les premiers mots. La musique devient ensuite plus agitée pour atteindre le stupéfiant Kyrie eleison. La direction de François-Xavier Roth est d'une incroyable précision : précision de la diction du chœur, précision du jeu des instrumentistes, dont les placements d’archets sont parfaitement étudiés et exécutés ensemble. Ce qui marque surtout, c’est la précision et la cohérence des intentions, qui peuvent être d’une grande puissance comme d’une intense émotion, répondant immédiatement à la gestuelle délicate, sophistiquée et justement dosée. Le silence qui habite les courtes pauses qui séparent les dix mouvements de l’œuvre manifeste la grande attention du public, que la musique de Berlioz et l’interprétation du chef savent captiver. Le terrible Dies irae décrit le jugement dernier en une tempête assourdissante. Outre les 235 musiciens et choristes sur scène, le public est entouré de quatre ensembles de cuivres, deux sur les bas-côtés, un juste derrière et un autre depuis les fenêtres du château. Ainsi plongé au cœur de la colère divine, il ne manque plus que les dix timbaliers fassent trembler le sol pour que le public soit submergé de son. Il faut reconnaître l’impeccable mise en place de ces différents ensembles, malgré une partition qui joue avec la spatialisation sans aucunement la faciliter. Quelques (rares) craquements de chevilles d’instruments qui lâchent rappellent que les musiciens jouent sur instruments historiques : certains violons et violoncelles n’ont pas forcément l’habitude de supporter des cordes en boyau. Toutefois, la justesse ne commence à faire défaut que vers la fin de l’Hostias. C’est justement à ce moment que le chef invite l’orchestre à s’accorder de nouveau.
Le chœur se montre très bien préparé, particulièrement lors du cinquième mouvement Quaerens me, entièrement a cappella mais aux sonorités orchestrales. Si tous les pupitres sont très ensemble, celui des ténors manque d'homogénéité. Les coups secs des cordes, le rugissement des cuivres et les coups de tonnerre des timbales font du Lacrimosa un moment à couper le souffle. Malgré tout ce « bruit », il n’est pas difficile de comprendre le texte du chœur. Les phrasés du Domine Jesu Christe sont particulièrement touchants, grâce aux mouvements des instruments, qui entremêlent leurs mélodies tandis que le chœur chante imperturbablement un motif beaucoup plus simple, presque sur une seule note et à l’unisson.
Le Sanctus est chanté par un ténor solo, dont la charge est confiée au britannique Toby Spence, placé à une fenêtre du château, côté jardin. Usant de son vibrato pour aider sa projection, sa voix paraît d’abord tendue et l’intonation manque d'évidence, si loin des flûtes qui sont ses seuls repères. Il semble plus assuré lors de sa deuxième intervention. Le chœur se montre fort touchant, notamment grâce aux très belles couleurs pianissimi des cordes. Pendant que les premiers violons gardent ces couleurs célestes avec des notes longues et sereines, la fugue du Hosanna in excelsis entraîne le chœur et les autres instruments qui doublent chaque partie avec panache. Le final se termine avec douceur, invitant à un long silence de recueillement avant que les acclamations ne fusent.
Bien que quelques spectateurs se levent pour saluer les jeunes musiciens, c’est l’initiative de la Ministre de la Culture Françoise Nyssen qui décide toute l’assemblée à manifester son enthousiasme en offrant une ovation debout.