Stabat mater-s au féminin au Festival de Saint-Denis
Contrairement à l'ordre initialement annoncé dans le programme, mais conformément à l'ordre chronologique (et pour finir par l'œuvre plus célèbre), le concert s'ouvre par le Stabat Mater de Scarlatti (composé en 1723) et se referme sur celui de Pergolèse (1736). Cet enchaînement permet d'apprécier deux tonalités complémentaires, très subtiles et toutes deux en harmonie avec le texte religieux (exactement le même pour les pièces de Scarlatti et Pergolèse, à l'interversion de trois lignes près) voyageant depuis l'horreur terrestre d'une mère debout à côté de son fils crucifié, jusqu'aux espoirs de gloire dans le Paradis. La version de Scarlatti d'une grande maîtrise formelle construit un discours en autant de séquences, ordonnant le texte en autant de morceaux bien articulés, comme autant de stations vers la rédemption. La conclusion de ce premier opus, émouvante chute avant la fugue sur Amen, amène fort bien vers la version davantage désolée de Pergolèse.
Pour porter ce programme religieux, les instrumentistes et les deux chanteuses solistes convoquent respectivement deux autres traditions artistiques : la musique de concert et la musique de salon. L'Ensemble Il Pomo d'oro déploie en effet des stases éloquentes, assumant pleinement (et avec une technique assurée) des virevoltes ornementales. Ces ornements sont visiblement pour eux une seconde nature, car la direction de Speranza Scappucci n'y encourage nullement : la récemment nommée cheffe principale attitrée de l'Opéra de Liège dirige les 23 musiciens (22 cordes et l'orgue positif) comme une grande fosse, avec d'amples gestes aussi droits que naturels. Précisément, c'est cette précision confiante qui offre un cadre souple dans lequel peuvent orner les artistes (et offrir des accents soudains mais jamais précipités).
Les deux chanteuses placées de part et d'autre de la cheffe, choisissent dès lors une interprétation d'une infinie retenue et d'une nonchalance naturelle : comme dans un salon, elles chaussent leurs lunettes pour lire (constamment) leurs partitions. Les nuances et les articulations sont très mesurées, mais toujours audibles : sachant s'appuyer sur l'acoustique de la Basilique de Saint-Denis sans perdre leurs voix dans ses résonances.
La contralto Sara Mingardo est à ce titre une experte, éloquente sans le moindre effort, toujours dans un noble port, ne caressant qu'épisodiquement les bords -assez restreints- de son ambitus avec son timbre bistre. Nonobstant elle reste un support infaillible pour les émotions du texte comme pour ses partenaires. La soprano Laura Claycomb peut ainsi s'appuyer sur cette alliée pour déployer à la fin du concert quelques envolées colorées, assez agiles mais fluctuant en volume et projection. Jusque-là et dans l'esprit recueilli de la soirée, elle se montre presqu'effacée, afin de rendre encore davantage poignantes ses douleurs dans la fin du Scarlatti et son animation dans la fugue.
Un duo d'œuvres, un trio féminin, un Ensemble gagnant pour ce concert acclamé par le public remplissant la nécropole des rois de France.