Adriana Gonzalez, prodige de L’Enfant prodigue à Nancy
L’architecture de la délicate Salle Poirel est propice à une ambiance intime entre le plateau vocal et musical et le public. L’endroit est donc parfaitement choisi pour les adieux au public nancéien de Rani Calderon, Directeur musical de l’Opéra National de Lorraine depuis 2015.
L’Enfant prodigue, qui permit à Claude Debussy de remporter le Prix de Rome en 1884 après plusieurs tentatives, débute la représentation, avant la célébrissime Mer après l’entracte. L’ouverture qui présente l’espace-temps biblique de l’argument, contient, sous la battue de Rani Calderon, chaleur et légèreté de circonstance. Flûtes et harpe légères éveillent la bourgade aux premiers rayons du soleil, avant des cuivres chaleureux et enthousiastes. Le chef se déplace, ondule presque en suivant la ligne mélodique et le rythme de l’ouverture, avant de suivre avec attention Adriana Gonzalez.
La jeune soprano guatémaltèque incarne Lia comme sur une scène d’opéra, tant elle accompagne les paroles de son personnage d’un jeu de scène poignant, yeux fermés ou regard empli de douleur à l’évocation de « l’enfant qu’elle n’a plus ». Mais la présence scénique n’est qu’une des composantes qualitatives d’Adriana Gonzalez. La diction qui, pour une soprano hispanique, doit relever d’un tour de force, est ici intégrée sans la moindre difficulté. Ainsi les « u » et les voyelles nasales propres au français sont parfaitement égrenés, le détachement des syllabes fluide et très précis. Les aigus, veloutés dans les lamentations de Lia, prennent, dans le trio final, une coloration dorée, presque pourprée comme du safran. Sur les aigus les plus hauts, Adriana Gonzalez ajoute des vibratos et des trilles qui renforcent la luminosité portée par sa voix. Sur les parties graves, la même technicité est conservée, ainsi qu’une projection impressionnante.

Cette même puissance et cette même chaleur portent le duo mère-fils de Lia et d’Azaël, dont le rôle échoit au ténor Marc Laho. Hélas, le retour de l’enfant prodigue véhicule peu d’émotion, tant le ténor, qui remplaçait Yann Beuron, reste statique devant son pupitre, récitant le texte plus qu’incarnant Azaël, ce qui contraste vivement avec la présence scénique d’Adriana Gonzalez. Le décalage est en partie compensé par des aigus solides, mais la projection est couverte par celle de la soprano.
Le baryton Jean-François Lapointe est un très convaincant Siméon. De beaux graves enveloppés jaillissent d’un coffre à la projection forte. La diction est impeccable, le souffle maîtrisé. Avant le trio, le baryton cisèle l’une des rimes finales de Siméon, « bouche » et « touche ». Le sens du texte est véhiculé par la gestuelle du baryton qui frappe le sol du pied à l’évocation de la « cymbale » et du « tambourin » que son personnage convoque.
Après l’entracte, Laurent Spielmann, Directeur de l’Opéra National de Lorraine jusqu’en juin 2019, prend la parole pour remercier Rani Calderon et lui souhaiter bonne chance dans la suite de sa carrière. Lorsqu’il revient pour diriger La Mer, le chef est ovationné par le public. Après un voyage musical somptueux qui fait vagabonder l’esprit jusqu’à la côte normande, et une battue précise et énergique alliée à une gestuelle corporelle intense, Rani Calderon fait applaudir les solistes, puis quitte la scène. Le public l’ovationne, le réclame, mais il ne revient pas, et c’est le premier violon, quelque peu désemparé, qui fait applaudir à nouveau l’ensemble des musiciens de l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy.
