Sabine Devieilhe sacrée à Versailles
Notre compte-rendu de ce récital à la Philharmonie de Paris mardi dernier
L'Orchestre Les Siècles dirigé par François-Xavier Roth et la voix de Sabine Devieilhe, en musiciens véritables, s'adaptent au lieu et à son acoustique. Les lignes aux amples respirations qui résonnaient dans la longue acoustique de la Philharmonie, laissent ici place à d'autres beautés, plus articulées avec une production plus directe. Le son qui enveloppait le chœur y file désormais tout droit. La soprano ne retient plus le souffle et les effets avant les grandes montées, n'ayant plus besoin d'attendre le son.
Le mouvement dansant, tournoyant au milieu de l'Ouverture de Mignon composée par Ambroise Thomas a quelque chose du Bal d'un Rallye, qui deviendrait une réception royale en grande pompe. Les instrumentistes en sourient d'aise, échangeant des regards amusés avant de se concentrer à nouveau dans les mouvements allègres. L'humeur joyeuse naît certes de la beauté du lieu et de la voix ici mise à l'honneur, mais l'ambiance badine et l'envie de se distraire tient également aux intermèdes orchestraux, loin d'être des chefs-d'œuvres. Il n'apparaîtra ainsi pas comme une injustice qu'Ambroise Thomas ne soit pas connu pour Mignon ou pour le grandiloquent et décousu Raymond interprété ce soir mais pour Hamlet. Nulle injustice à ce que Léo Delibes soit célébré pour Lakmé et non Coppelia, enfin, Saint-Saëns gagne au change par cette postérité qui retient Samson et Dalila et non pas les chinoiseries de La Princesse Jaune. Cette eutrapélie des instrumentistes offre à l'orchestre une légèreté et un sourire audibles, mais elle entraîne des décalages rythmiques par une baisse d'attention. Cela n'empêche toutefois nullement ces artistes de déployer leurs individualités toujours envoûtantes et, maîtres de ce répertoire, ils marient le romantisme aux couleurs orientales. Les flûtes dansantes et la harpe onirique s'harmonisent aux dorures de l'Opéra Royal de Versailles (pourtant en carton-pâte). Le Ballet de Coppélia, valse ternaire tour-à-tour souple et cérémonieuse est parfaitement à sa place en ce lieu (mais pas parfaitement en place rythmiquement, notamment parmi les timbales et cuivres).
L'entrée de Sabine Devieilhe en robe princière ne saurait mieux convenir au lieu et à sa première phrase : "Oui, pour ce soir je suis reine des fées !". Elle n'a qu'à ouvrir les bras et désigner le cadre pour illustrer le texte, "Voici mon sceptre d'or ! Et voici mes trophées !". Sa première échelle vocalisante sur le récitatif, avant même le premier air, lui assure le sacre qu'elle recevra par ce concert (les couloirs bruissant d'admiration dès l'entracte, la comparant à une « Belle aux bois dormant chantante »). La soprano colorature maîtrise son appareil jusque dans le détail, choisissant l'épaisseur du voile vocal et contrôlant la projection autant que les nuances ou les hauteurs de note.
Mon âme est jalouse D'un bonheur si doux ! Sous les flots endormis, ah ! Pour toujours, adieu, mon doux ami !
Devieilhe narre par deux fois et avec l'émotion d'une grande délicatesse la mort d'Ophélie, noyée par amour pour Hamlet. La mise en musique de Berlioz fait enfler une psalmodie d'un immense tenant. Celle imaginée par Ambroise Thomas (que Sabine Devieilhe incarnera sur la scène de l'Opéra Comique en décembre 2018) balaye la folie depuis ses suraigus aussi soutenus que déchirants jusqu'à des graves naturels comme un deuil. Ses vocalises sont les flots qui submergent l'amoureuse éperdue.
Après l'entracte nécessaire pour se remettre de telles émotions, la douce et radieuse beauté des Quatre poèmes hindous de Maurice Delage ouvre la seconde partie comme dans un rêve. Le violoncelle déploie des pizzicati étouffés et vibrant, guitare orientale réinventée portant la chanteuse jusqu'à sa vocalise orientale a cappella. Elle effleure les graves vers lesquels elle descend en posant sa voix sur le souffle des cordes.
Dans l'acoustique Versaillaise, miracle royal sans doute, un pupitre est métamorphosé : les percussions, capitales pour un programme dont l'acmé est Lakmé avec l'air des clochettes ! Ces clochettes qui se perdaient dans la Philharmonie, contraignant sa malheureuse musicienne à un martèlement métallique, tintent à Versailles comme un timbre d'argent. Il faut au moins cela pour accompagner la performance de Sabine Devieilhe. Le public ne fera même pas attention à ses quelques notes voilées et un aigu final un peu court et faible pour un tel triomphe, a fortiori avec cette voix de cristal sur la mort de Lakmé en bis bouleversant.