Toujours là, Lalande sacré à Versailles
Le concert débute par un long moment dédié à l’accordement des instruments du Poème Harmonique. Dans l’esprit du nom qu’il s’est donné, l’ensemble fait de ce moment un instant musical de qualité, les sonorités baroques s’élevant sous les voûtes de la Chapelle Royale de Versailles, émis délicatement par des musiciens échangeant des sourires entendus. Après quelques secondes d’attente, le chef Vincent Dumestre et les solistes viennent saluer, puis interprètent le Deitatis Majestatem
Vincent Dumestre (© Per Buhre HD)
Après l’entracte, le Magnificat
Cyril Auvity (© Philippe-Matsas)
C’est la basse André Morsch qui émet le premier chant, de sa voix soyeuse et douce, qui semble gênée dans les graves mais à laquelle la résonance du lieu donne de l'envergure. Son timbre autoritaire apporte une certaine gravité à sa ligne de chant, qui gagne en puissance et en flamme au fur et à mesure qu’il monte dans l’aigu de son registre. Le chœur de l’Ensemble Aedes, préparé par Mathieu Romano, enchaîne, présentant une matière sonore homogène, dans un mélange de voix qui se complètent et offrent une grande puissance expressive, le pupitre de basses soutenant l’harmonie d’ensemble. Le haute-contre Sean Clayton monte alors sur scène, échangeant un sourire avec Morsch qui le croise. Clayton attire instantanément l’attention par sa voix aérienne et souple, son legato appuyé et son sens de la nuance : il gonfle sa voix puis l’allège dans un phrasé exprimant une douleur ardente. Les cinq solistes se relaient ainsi sur la scène, sortant d’un côté, remontant de l’autre, seuls, en duo ou en quatuor.
Emmanuelle de Negri (© bdllah Lasri)
Si les ensembles ne sont pas toujours exacts rythmiquement (les claquements désynchronisés des « t » en étant le signe le plus audible), les voix se marient à merveille, offrant une interprétation soignée de l’œuvre de Lalande. La voix caressante au vibrato intense de la soprano Emannuelle de Negri s’y perd parfois mais ses vocalises agiles font de ses airs solistes des moments précieux. La rondeur de sa voix tranche avec celle de Dagmar Saskova, acérée comme la lame d’un poignard. Elle soigne son articulation et parvient à percer le rideau sonore dans les ensembles avec chœur. Le duo des deux sopranos gagne à la juxtaposition de leurs timbres différents mais complémentaires.
Enfin, Cyril Auvity (à découvrir en interview ici) garde une mine sombre et habitée tout au long du concert. Sa voix barytonnante se couvre dans des aigus moirés. Le ténor nuance ses interventions, délivrant notamment un délicat mezzo-piano à la fin du premier opus (qu’il achève toutefois légèrement trop bas). Selon les effets de résonance, il alterne depuis le balcon entre voix droite et voix légèrement vibrée. Dans sa dernière aria, il offre des trilles appuyés et des vocalises puissantes mais manquant de fluidité, produisant malgré tout un effet saisissant. Il est accompagné dans ce passage par le motif entêté des bassons et des violes de gambe, que leurs instrumentistes jettent en avant à chaque accentuation. D’un geste saccadé, le chef Vincent Dumestre, dirige ces artistes, prêtant attention à chaque détail, des dissonances appuyées jusqu'aux nuances de ses instrumentistes, mettant en valeur chacune des forces musicales en présence, et en particulier les solistes dont il chante le texte pour mieux en saisir les respirations. Le dernier numéro est constitué d’une entrée en imitation des différents pupitres du chœur sur un motif joyeux appelant à l’espérance. Les solistes, un sourire réprimé aux lèvres, rejoignent les choristes, accentuant exagérément les « no » du texte final. Le public enthousiaste demande un bis de ce dernier passage, puis retrouve la chaleur écrasante de cette fin du mois de mai : le château illuminé dans la nuit encore claire lui offre un dernier ravissement.