Verdi gravé par Tézier
Le baryton français Ludovic Tézier a déjà une lyricographie confirmant son statut de référence mondiale dans le répertoire d'opéras et notamment Verdien. Il dispose également d'une discographie prestigieuse et là encore avec les plus grandes voix sur les plus grandes scènes, mais en captations de spectacles. Ludovic Tézier grave donc avec Verdi son premier album solo, enfin, comme un nouvel aboutissement de son parcours vocal : un excellent signe pour toutes les tessitures (les jeunes barytons talentueux que nous interviewons régulièrement, comme les autres, nous confient ainsi qu'il semblait injuste que cette tessiture soit toujours si peu valorisée par rapport aux ténors et sopranos dont celles et ceux de la trempe de Tézier -et c'est dire s'ils sont rares- auraient et ont déjà enregistré des albums par dizaines).
Tant mieux donc pour les barytons et pour Verdi, car Ludovic Tézier convoque dans cet enregistrement toutes les qualités vocales qu'il déploie sur scène. Le chant incarne la noblesse du bel canto avec toutes les intensités du drame Verdien et dans l'immense longueur du souffle mélodique. Le chant "racé" et animé traduit la force et la douleur de tous les personnages incarnés dans ce disque, le seigneur, l'empereur, l'ami et le rival mais aussi le mari (qui se croit trompé), le père victime de lui-même et même le méchant absolu : Macbeth, Nabucco, Rigoletto, le Comte de Luna du Trouvère, Germont Père de La Traviata, Ford de Falstaff, Renato du Bal masqué, Iago d'Otello, deux Don Carlo (ceux de La Force du destin et d'Ernani) et deux fois aux côtés de Don Carlos/Don Carlo (les morts de Rodrigue et Rodrigo). L'écoute comparée de ces deux versions du même air, l'un en français, l'autre en italien, aux deux extrémités de ce disque, montre ainsi et à la fois la manière dont les qualités vocales du baryton traversent et s'adaptent aux langues et répertoires. Le phrasé s'intensifie et s'emporte imperceptiblement plus pour Don Carlo et élève de quelques millimètres encore le piédestal de sa noblesse pour Don Carlos, mais surtout, le souffle et l'intensité embras(s)ent le tout, le français est bel cantiste, l'italien d'un classicisme aristocratique : une leçon illustrée de Verdi à travers les styles et les langues.
De la chaleur glaciale d'un souffle expirant aux élans lyriques en l'espace de deux phrasés, depuis la douceur d'un murmure toujours lyrique entre songe et réalité, jusqu'aux éclats immédiats, presqu'enragés de caractères, le chant est toujours aussi soutenu et appuyé, se prolongeant vers des phrasés amples autant qu'intenses. Le disque est parcouru et maintenu par un immense souffle, celui avec lequel Tézier nourrit chaque phrase et accent, celui au bout duquel il étire chaque fin de piste (une signature de ce baryton qui aime à montrer combien il peut tenir la dernière note de tous les grands airs).
Les airs également funèbres de La Force du destin et d'Ernani qui encadrent Don Carlos pour inaugurer cet album forment donc avec le Don Carlo final quatre pistes de plus de 8 minutes chacune pour ouvrir et fermer ce disque dans une démonstration d'endurance du propos musical et dramatique.
L'Orchestre du Théâtre Communal de Bologne dirigé par Frédéric Chaslin peut déployer ses plus longs phrasés, ses plus grands accents et crescendi sans craindre jamais de couvrir ou dépasser le chanteur. La musique Verdienne impose ainsi son immensité dramatique avec toute sa subtilité (mais dans une prise de son qui privilégie toutefois une certaine épaisseur du trait de la note, dont certains passages auraient gagné en finesse).
Des récits aux grandes vocalises, en phrasés francs aussi bien qu'ornés, tout une assise de fer soutient un timbre de velours. Le baryton ne rechigne à aucun des effets expressifs, qui ailleurs pourraient sonner comme durs ou fatigués, jetés ou trop contenus, mais qui, nourris par un tel souffle et une telle assise, subliment l'incarnation dramatique au disque : gravant un album de référence pour ce baryton de référence.