La Périchole selon Minkowski : l’esprit sans la lettre
Minkowski avait déjà procédé ainsi pour son Orphée aux Enfers de 1997, mêlant des pages des versions de 1858 et 1874. La démarche offrait un résultat à peu près équilibré. Cette fois-ci, le chef a conservé le découpage en trois actes de la seconde version (la première n’en comportait que deux), il a donc supprimé certaines pages uniquement présentes dans la version de 1868 (le duo des bijoux, le couplet « Aie donc confiance », le chœur du Couvert du Roi), a rétabli en revanche certaines musiques d’entractes rarement entendues, mais a supprimé certaines pièces de la véritable version en 3 actes (le duo Piquillo/la Périchole succédant aux couplets de l’aveu, le trio « Roi pas plus haut qu’une botte », le chœur de la patrouille et la valse-ariette des trois cousines). Voici donc un troisième acte bavard, sans beaucoup de musique, et un peu inconsistant, s'éloignant donc de l’intéressante version intégrale de 1868, beaucoup plus rare que celle de 1874.
L’interprétation musicale, quant à elle, distingue avant tout l’orchestre, les chœurs et leur direction. Le choix d’instruments d’époque donne des couleurs plus acidulées, plus vives. La direction de Minkowski dose efficacement les effets, faisant alterner légèreté, tendresse et vivacité (par exemple dans la « présentation » de La Périchole au Vice-Roi, ponctuée des exclamations indignées des courtisans, ou encore dans l’air « Que les hommes sont bêtes », pris souvent sur un tempo exagérément alangui). Enfin, se retrouvent avec plaisir les habituelles qualités de transparence, d’intelligibilité et de vivacité des chœurs de l’Opéra de Bordeaux, dirigés par Salvatore Caputo.
La voix enregistrée d’Aude Extremo ne présente pas exactement les mêmes qualités que lorsqu’elle est entendue sur scène : la projection semble parfois entravée (alors qu’elle vient de faire preuve de toute sa puissance en Fricka !) et la voix comporte ici ou là quelques couleurs grises, guère perçues en concert. Le timbre garde cependant son originalité, le phrasé son élégance, et une facilité dans l’aigu lui permet de ne pas crier certaines notes qui le sont fréquemment (dans les couplets de l’aveu par exemple). L’interprète sait par ailleurs se faire tantôt drôle, tantôt émouvante, deux aspects essentiels à la bonne caractérisation du personnage.
Le Piquillo de Stanislas de Barbeyrac est viril, présent, dramatique mais sans excès. La voix est corsée mais elle semble parfois engorgée (là encore, a contrario de l’impression donnée sur scène). Le chanteur est légèrement à la peine dans le registre aigu (le trio des femmes), mais l’incarnation est séduisante et émouvante, notamment dans son air de la prison, rendant l’émotion et l’endormissement progressif du personnage.
Alexandre Duhamel possède une voix sonore et large, presque trop pour le personnage du Vice-Roi, notamment dans les plus légers couplets de l’Incognito. Le texte, cependant, reste toujours compréhensible. En outre, la voix, et donc le personnage, sont jeunes –ce qui confère au Vice-Roi un éclairage nouveau. L’interprète possède par ailleurs la fougue nécessaire pour exprimer l’exaspération du personnage dans le finale du II : « Sautez dessus ! ». La suppression du trio de la prison ne lui permet toutefois pas de chanter « La jalousie et la souffrance / Déchirent mon cœur tour à tour. / J’ai la fortune et la puissance, / Tout cela ne vaut pas l’amour », qui permet une caractérisation plus fine du personnage et prépare en le justifiant son revirement final.
Les seconds rôles féminins possèdent des voix bien différenciées : Olivia Doray (première cousine et première dame d’honneur) fait entendre une ligne claire et bien projetée, tandis que celle de Julie Pasturaud (deuxième cousine et deuxième dame d’honneur), légèrement plus rugueuse, se distingue par une diction incisive. Mélodie Ruvio et Adriana Bignagni Lesca (qui participera au "Gala Hortense Schneider, la diva bordelaise d’Offenbach" en octobre prochain) possèdent quant à elles un timbre chaud et capiteux.
Les deux notaires sont interprétés par Enguerrand de Hys et François Pardailhé, qui nasalisent à loisir leurs timbres de ténors afin de conférer aux courtes interventions de ces personnages bouffes l’humour attendu. Enfin, distribuer Éric Huchet et Marc Mauillon en Don Miguel de Panatellas et Don Pedro de Hinoyosa relève du grand luxe ! Leur duo « Les maris courbaient la tête », dirigé avec entrain, fait valoir la clarté de leur voix et la facilité de leur projection, deux qualités permettant d’assurer une très grande netteté dans l’articulation du texte.