Eric Zemmour : "Diffuser des programmes à caractère culturel à la télévision"
Quel est votre rapport personnel au spectacle vivant en général et en particulier à la musique et à l’opéra ?
Bach reste pour moi la référence absolue de la beauté et je ne me lasse pas d’écouter le Concerto pour violon dans la version de Anne-Sophie Mutter et Salvatore Accardo avec English Chamber Orchestra. Dans mon panthéon personnel des œuvres que j’affectionne le plus figurent également les Nocturnes de Chopin, le Requiem de Mozart, le Stabat Mater de Dvorak, le Requiem de Fauré. Et pour l’opéra, Tosca sans hésitation !
Vous avez choisi la Symphonie n°7 de Beethoven comme fond sonore de votre vidéo d’annonce de candidature : pourquoi ?
La musique a souvent le pouvoir d’exprimer ce que les mots ne parviennent plus à dire. J’ai choisi le deuxième mouvement de cette symphonie pour traduire la gravité de la situation que nous connaissons aujourd’hui. Je le répète depuis le début de ma campagne : la France est à la croisée des chemins et c’est le destin de notre nation qui se joue lors de cette élection. L’heure est grave, et cette musique exprime à la perfection ce que, humblement, j’ai voulu retranscrire dans mon discours de candidature. Mais cela n’est pas une fatalité, et je vous promets que nous ne jouerons que des morceaux joyeux le jour de mon élection !
Olivier Ubeda, qui organise vos meetings, a une formation de chef d’orchestre : qu’est-ce que cela change dans sa manière d’exercer son métier ?
Il serait le plus à même de répondre à la question. Mais cette métaphore du chef d’orchestre me paraît pertinente. C’est un métier atypique qui n’est pas sans rappeler les missions du Président de la République. Un chef d’orchestre donne l’orientation générale afin que les musiciens s’imprègnent et retranscrivent son interprétation de l'œuvre. Nous avons eu à la tête de l’Etat des gestionnaires, spécialistes dans leur domaine, techniciens mais incapables d’embrasser l’ensemble des sujets. Un bon chef d’orchestre ne doit pas jouer de tous les instruments mais il est à même de porter chaque musicien pour donner le meilleur de son talent au service d’une vision artistique globale. Un bon chef de l’Etat engage son gouvernement dans la vision qu’il a présentée au peuple français et que celui-ci a approuvée, mais il ne doit pas se substituer à ses ministres.
Quel bilan tirez-vous des décisions qui ont été prises pour la culture ces cinq dernières années, en particulier la gestion du Covid et la mise en place du Pass Culture ?
Je sais qu’il existe une culture française magnifique, millénaire, exceptionnellement riche et admirée dans le monde entier"
Nous avons eu à la tête du pays un président qui pensait que la culture française était un mythe. Cette vision, ou plutôt cette absence de vision, s’est manifestée tout au long du quinquennat. Au contraire, je sais qu’il existe une culture française magnifique, millénaire, exceptionnellement riche et admirée dans le monde entier. Elle nourrit nos vies intérieures et donne une âme unique à notre pays. Comme la plupart des Français, j’ai été particulièrement affecté par les salles désertées pendant des mois. Il aurait été plus judicieux de laisser les théâtres recevoir un public -masqué et respectueux des règles sanitaires- plutôt que de fermer les salles et de compenser la perte de recettes par des aides. Cela aurait aussi permis aux artistes de continuer à exercer leur art pour lutter contre la morosité de cette période.
L’idée du Pass Culture était en soit intéressante mais je constate que c’est un grand gâchis. Il n’a pas montré de résultats convaincants car les jeunes l’utilisent plus volontiers pour acheter des mangas que de la littérature. L’essentiel des efforts doit être concentré sur l’éducation, qui passe autant par l’école que par une formation continue. Rendre accessible le savoir c’est avant tout donner le goût de lire, d’écouter de belles mélodies, d’apprendre des poèmes et des tirades de théâtres, en somme attiser la curiosité intellectuelle. Bien-sûr le budget dont dispose chaque jeune pour y accéder est un point important. Les théâtres ont fait des efforts notables pour offrir des palettes de prix accessibles. Je constate que les concerts de pop et de rap se remplissent sans que personne ne s'offusque des prix. Il y a avant tout une question de goût et donc de volonté de transmettre un certain patrimoine culturel. Nous aurions par exemple plus de jeunes à l’opéra si nous leur transmettions davantage le goût de la musique classique. Il en est de même de la littérature.
Quel est votre projet pour la culture ?
Je veux avant tout rendre la politique culturelle moins idéologique, afin que le génie français qui irrigue notre patrimoine culturel depuis tant d’années puisse s’exprimer à nouveau. Autrefois source d’inspiration pour le monde, la France a en grande partie perdu son influence culturelle et patrimoniale. Le rôle de la culture a été galvaudé au profit de la promotion d’une idéologie dominante et au détriment de la transmission et de la valorisation de notre Histoire, de notre littérature, de notre langue et de nos joyaux architecturaux. Cela passera notamment par :
- La préservation du patrimoine, qui sera l’une de nos grandes priorités grâce à un investissement massif de 2 milliards d’euros à l’échelle du quinquennat.
- L’audiovisuel public recentré sur de la culture avec la diffusion régulière de spectacles, concerts, pièces de théâtre et opéra. Nous augmenterons également le budget de France Média pour que la parole de la France soit de nouveau entendue à l’étranger.
- Sous l’égide d’un grand ministère d’État du Savoir et de la Transmission qui regroupera l’Instruction publique, l’Enseignement supérieur et la Culture, je renforcerai la pratique de la musique, l’apprentissage de l’histoire de l’art et de l’art plastique, et la formation des jeunes aux métiers de la restauration du patrimoine.
Que contiendra la lettre de mission que vous adresserez à votre Ministre de la Culture ?
Le Ministre de la culture que je désignerai devra garantir le renouvellement et la pérennité de la culture française à travers la diffusion de ses grandes œuvres. Il aura pour mission surtout de s’assurer que le patrimoine culturel français soit transmis aux futures générations pour qu’elles apprennent à l’aimer et qu’elles puissent y prendre part à leur tour.
France Télévisions a exclu ces dernières années le spectacle vivant de ses grandes chaines (les diffusions étant en seconde partie de soirée sur France 5) : qu’en pensez-vous ? Comment envisagez-vous de rendre ces arts accessibles au plus grand nombre ?
Je pense que ce fut une mauvaise décision car la télévision permet de rendre les spectacles et les concerts accessibles à tous. Je veux faire connaître au grand public les œuvres de notre patrimoine artistique et culturel en imposant aux chaînes de télévision généralistes l’obligation de diffuser des programmes à caractère culturel (opéras, pièces de théâtre, concerts).
Vous proposez de privatiser le service public audiovisuel et de supprimer la redevance. Or, ces services publics, notamment à travers Radio France et France Télévisions (Culturebox, France 5 et sa plateforme de streaming web), participent grandement à la réalisation de nombreux projets culturels, en particulier dans le spectacle vivant. Sans les revenus de la redevance, qu’adviendra-t-il de ces outils de diffusion ?
L’audiovisuel public souffre d’un double mal : son coût et la piètre qualité de ses programmes. Les Français payent beaucoup trop cher pour un service qui ne remplit pas ses missions originelles. Initialement, elles consistaient à “informer, cultiver et distraire”, aujourd’hui elles se résument plutôt à “désinformer et distraire”. Pour retrouver un service public de qualité, je propose de restreindre le nombre de canaux et de redéfinir les missions du service public. Je propose donc de recentrer l’audiovisuel public autour de la culture en gardant France 5, France Culture, Arte, France Musique. Les chaînes qui ne remplissent plus leurs missions originelles, France 2, France Inter, France Info TV, Mouv’ et FIP, et qui servent d’outils de propagande seront privatisées, à l’image de TF1 en 1987. Cela me permettra de supprimer la redevance audiovisuelle pour redonner du pouvoir d’achat aux Français et lutter contre l’idéologie qui s’impose depuis des décennies à leur détriment.
Envisagez-vous de renforcer les liens entre l’éducation nationale et la culture ?
Absolument, l’éducation et la culture sont étroitement liées. C’est pourquoi je créerai un grand ministère d’État du Savoir et de la Transmission qui regroupera l’Instruction publique, l’Enseignement supérieur et la Culture. Sous l’égide de ce ministère, l’apprentissage de la musique sera remis au cœur des parcours scolaires, tout comme l’étude de l’histoire de l’art. Par ailleurs, je veux renforcer la pratique de la musique de l’école à l'université. De nombreuses études démontrent les bienfaits du solfège et de la pratique régulière d’un instrument de musique : l’exigence, le goût de l’effort, le mérite, la rigueur, la discipline et bien-sûr la créativité.
Comment comptez-vous faire évoluer le budget de la culture ?
Le budget alloué à la culture sera principalement marqué par une augmentation au niveau de la restauration et de l'entretien du patrimoine. De trop nombreux monuments de notre histoire sont en péril : 23% des monuments historiques sont en mauvais état ou en état de péril, dont 5% en état de péril imminent. Je souhaite allouer 2 milliards d'euros sur l'ensemble du quinquennat pour sauver le patrimoine français en danger.
Prévoyez-vous en particulier des actions pour le spectacle vivant, la musique classique et l’opéra ?
L’opéra a une particularité : il est à la croisée des arts. Des livrets inspirés des chefs d'œuvres de la littérature, la musique, les décors, les lumières, les costumes, la scénographie, la danse, la mise en scène, etc. La fréquentation régulière de ce répertoire est un excellent moyen de découvrir toutes les facettes de l’art et d’affiner son sens de l’esthétique. Dans cette optique de démocratisation, j’obligerai toutes les institutions culturelles recevant des subventions de l’État à faire des tournées régulières dans les établissements scolaires publics. Cela passera également par une diffusion régulière de spectacles à la télévision, comme je l’expliquais précédemment.
Les nominations aux postes de direction des opéras sont pour la plupart décidées ou validées par le Ministère de la Culture, voire par le Président lui-même : quels seront vos critères de choix ?
Ma politique de nomination sera avant tout dirigée par ma volonté de promouvoir la culture française. Je récompenserai ainsi les efforts faits pour remettre à l'honneur le répertoire français. Cela implique également de soutenir les artistes français et d’encourager la création pour faire rayonner nos œuvres dans le monde. Par ailleurs, je veux lutter contre la prolifération de l’idéologie woke qui nie la subtilité de l’art sous prétexte de ne pas offenser et veut épurer les œuvres. Je veux que l’art soit libre de toute censure car le public doit rester le seul juge. Voilà la philosophie qui devra gouverner nos responsables culturels, du ministre de la Culture aux directeurs d’institutions.
Quelle est votre vision des conséquences de la crise ukrainienne actuelle sur le monde de la musique classique, et en particulier de l’éviction d’artistes russes ?
Comme je le disais précédemment, nous assistons à un courant de censure très actif dans le monde de la culture. Je ne vois pas pourquoi les artistes russes devraient payer pour la politique de Vladimir Poutine. Gergiev, Netrebko, Matsuev, Sokhiev sont désormais persona non grata en France mais qui sait si, demain, cette idéologie délirante ne nous empêchera pas d’écouter Chostakovitch, Prokofiev et Tchaïkovski, de mettre en scène Oneguine ou De la maison des morts sous prétextes que Pouchkine et Dostoïevski ont le malheur de partager la même nationalité que Vladimir Poutine. C’est absurde de priver le public français de ces chefs-d'œuvre et de ces artistes. C’est tout aussi absurde de sanctionner ces artistes du seul fait qu’ils sont russes.
Retrouvez ici notre article présentant cette série d'articles et ci-dessous les réponses des autres candidats :
- Nathalie Arthaud (Lutte Ouvrière) - "Une véritable politique culturelle devrait commencer dès l’école"
- Anne Hidalgo (Parti socialiste) - "Sanctuariser les ressources de la culture"
- Jean-Luc Mélenchon (La France insoumise) - "Porter le budget consacré aux arts et à la culture à 1% du PIB"
- Eric Zemmour (Reconquête !) - "Diffuser des programmes à caractère culturel à la télévision"
- Yannick Jadot (Europe Ecologie Les Verts) - "Un milliard d’euros supplémentaire par an sera affecté au budget du Ministère de la Culture"