De derrière le rideau : connais-toi toi-même !
Etre ou ne pas être, telle est la question qui hantera la vie d’Hamlet rendue inoubliable grâce au talent universel et intemporel de Shakespeare. Mais être ou paraître, voilà un choix de vie, également shakespearien, que la nature nous aide parfois à arbitrer contre toute évidence. Comment être celui ou celle que nous ne sommes pas ou encore paraître un ou une autre que nous même ? La littérature est pleine de personnages qui ont voulu, avec plus ou moins de bonheur, se construire une vie qui n’était pas la leur. Prenez la Castafiore, rendue célèbre par le dessin et les mots d’Hergé, et qui riait de se voir si belle en son miroir. Celui-ci lui donnait à voir celle qu’elle avait rêvé d’être. Seuls ses propres yeux en recevaient le privilège, laissant aux spectateurs de cette comédie le droit de se moquer.
L’art lyrique n’échappe pas à ce syndrome bien connu. Florence Foster Jenkins en est un exemple édifiant. Cette Américaine née en 1868 a consacré sa vie entière à une carrière de cantatrice alors que son talent de soprano était plus qu’improbable : elle chantait faux, n’avait aucun sens du rythme et une prononciation qui aurait fait la fortune d’une orthophoniste. C’est cette fortune justement qu’elle avait, qu’elle va utiliser pour réaliser sa vie. Sans être dupe de la supercherie qu’elle offrait au monde, elle a, malgré les moqueries qu’elle suscitait et qu’elle attribuait à la jalousie, été au bout de son rêve. Celui-ci s’est brisé en 1944 au Carnegie Hall de New York, tout de même, quand fous rires et quolibets ont couvert les frêles applaudissements de ses proches à la fin de son « concert ». Elle en mourut quelques jours plus tard. Jamais aucun de ses proches n’avait osé lui dire qu’elle roulait à contresens.
Deux films sortiront bientôt pour nous en dire et montrer davantage. Catherine Frot et Meryl Streep lui prêteront leur talent et leur visage. La frontière entre rêve et cauchemar est parfois ténue. Prenez le temps d’écouter sur ce site son interprétation de l’air de la Reine de la nuit et vous comprendrez qu’il faut parfois savoir rêver très fort ! Cette expérience me l’a rendue éminemment sympathique. Il est sûr que Socrate lui parlait à l’oreille : «connais-toi toi-même ! », et elle a obéi. Car finalement, la question de l’être et du paraître se prolonge par celle du faire. Elle a osé faire ce qui lui semblait être une nourriture pour sa vie, une saveur, un parfum et ne pas avoir de regrets. Elle expliquait à qui voulait l’entendre que l’on pouvait certes juger qu’elle ne savait pas chanter mais jamais dire qu’elle n’avait pas chanté. Son prénom de naissance était Narsissa, une sorte de prédestination peut-être ! Mais d’évidence une leçon de vie et une fois de plus la preuve que le ridicule ne tue pas. Il suffit simplement de savoir oser. Icare a cru pouvoir voler, Florence a cru pouvoir chanter, dépassant, mais qu’importe, le champ de leurs possibles. Quelle était la question déjà ?
Retrouvez la précédente chronique de Philippe Marigny en cliquant ici.