Festival Puccini : Un chef dirige les yeux bandés pour dénoncer la mise en scène
Régulièrement, des spectateurs affirment avoir à ce point détesté une mise en scène, qu’ils ont préféré fermer les yeux pour profiter de la musique. C’est littéralement ce qu’a fait Alberto Veronesi, en couvrant même ostensiblement son champ de vision avec un bandeau, mais à ceci près qu’il dirigeait -ce faisant- la représentation de La Bohème (proposée dans une nouvelle production en ouverture du 69ème Festival Puccini de Torre del Lago). La preuve certes qu’il connaît la partition par cœur (quoique sur les images le bandeau ne semble pas absolument opaque), mais un geste qui vient forcément amoindrir la qualité de sa direction (le chef travaillant aussi le contact visuel avec ses musiciens, preuve en est, certains maestros de légende dirigent parfois simplement du regard).
Selon le quotidien italien Il Tempo (classé comme conservateur de droite), Alberto Veronesi dénonçait ainsi la "résurgence sous la forme forcée d'une mise en scène d'opéra" du "communisme, vaincu par l'histoire et par les élections", en raison de poings qui seraient levés par des personnages sur le plateau.
Le parti d'extrême droite Fratelli d'Italia (Présidé par Giorgia Meloni qui gouverne l'Italie) a vivement soutenu, via la parole d'élus, le chef d'orchestre Alberto Veronesi.
Et pour cause également, Alberto Veronesi est un artiste aux différents engagements politiques : candidat pour le Parti Démocrate (centre-gauche) en 2016 et 2020, le chef a changé de carte pour les régionales de cette année 2023, rejoignant le parti de la nouvelle dirigeante transalpine, Georgia Meloni, et lui apportant son soutien par la même occasion.
D'ailleurs, le jour même de la première de cette Bohème, le Secrétaire d'État italien à la Culture, Vittorio Sgarbi (dont les dernières fonctions ministérielles étaient durant le deuxième gouvernement de Silvio Berlusconi) publiait le communiqué suivant à l'adresse du chef : « Ne dirigez pas l'orchestre. Les scènes conçues par Christophe Ouvrard n'ont rien à voir avec Puccini.
J'espère qu'un vrai musicien comme Alberto Veronesi de surcroît président du Comité Promoteur des Fêtes Pucciniennes [en vue du centenaire de sa mort en 2024, ndlr] ait la force et la fierté de ne pas diriger l'orchestre du Festival pour une "Bohème" dont la mise en scène certainement très précieuse (de Christophe Gayral) trahit toute la vision et l'esprit de Puccini dans la scénographie conçue par Christophe Ouvrard.
Son geste ne peut être interprété comme politique mais comme un respect pour l'art et la mémoire de Puccini. Je suis sûr que Veronesi n'aurait rien contre la mise en scène d'un opéra de Luigi Nono [compositeur italien, 1924-1990, membre du Parti Communiste, ndlr] avec ces mêmes décors (mis en scène en 1968), mais Puccini non ».
Selon des correspondants de l'autre côté des Alpes et des échos en salle, le geste du chef aurait été fort peu apprécié, aussi bien parmi le public (qui l'a sifflé, hué et lui a adressé des qualificatifs méprisants) que par la Direction du Festival, qui a renvoyé le chef d'orchestre (ce n'est visiblement plus Alberto Veronesi qui dirigera les trois représentations suivantes de cette Bohème : les 29 juillet, 10 et 25 août).
Suite à ce scandale lors de la première représentation, le metteur en scène Christophe Gayral a répondu à ces diverses critiques par voie de communiqué :
« - La mise en scène, fondée sur un travail approfondi de dramaturgie, s’est toujours basée sur l'œuvre de Puccini respectant à la lettre tous les sens de l'œuvre, sans aucune coupure ou ré-écriture des paroles du livret ou détournement de l’intrigue.
- Comme de très nombreux metteurs en scène le font de nos jours, j’ai voulu lire et éclairer l'œuvre de manière moderne dans un cadre contemporain. J’ai pour cela situé l’action de cette « Bohème » à Paris de décembre 1967 à mai 1968, époque pleine d’artistes et de bohémiens en quête de nouveaux idéaux comme on en trouve dans l'œuvre de Puccini et dans le roman de Murger.
- Mon intention n’a jamais été de faire référence à un quelconque cadre politique en place aujourd’hui en Italie.
- Je précise que ce projet, bien des mois avant le début des répétitions, a été présenté et expliqué très clairement à la Fondation Puccini qui l’a totalement approuvé dans son ensemble (dramaturgie, décors, costumes, etc,…); projet également expliqué au Maestro Veronesi qui lui aussi à cette époque l’avait approuvé. »
Par la même occasion, les élus de Fratelli d'Italia qui soutiennent Alberto Veronesi apportent également leur soutien à la cheffe d'orchestre Beatrice Venezi, dont un collectif d'associations en France demande à ce qu'elle soit désinvitée (en raison de ses proximités avec Georgia Meloni qu'elle conseille sur le plan musical) de l'Opéra de Nice où elle doit revenir pour diriger le ballet Giselle à la fin de cette année, ainsi que le Concert du Nouvel An.
Ce à quoi le Directeur de l'Opéra de Nice, Bertrand Rossi a répondu (via l'AFP) : "la musique ayant le pouvoir de transcender les clivages et de rassembler les individus autour d'une expérience commune, il est essentiel de séparer l'art de la politique". "En tant qu'institution culturelle, notre rôle est de favoriser la libre expression artistique et de créer un environnement où chacun peut se sentir à l'aise et respecté, indépendamment de ses affiliations politiques".
L’Opéra de Nice, qui vient d’ailleurs de refermer sa saison en proposant La Bohème de Puccini, transposée dans les années Sida : notre compte-rendu.