Léa Trommenschlager avant le Premier Meurtre à Lille : « Cet opéra est une pause, une dilatation du temps »
Léa Trommenschlager, vous interprétez Emma dans Le premier Meurtre avec l’Ensemble Le Balcon à l'Opéra de Lille. Quelles sont les spécificités de cet ensemble ?
Le Balcon n’est pas simplement un ensemble musical au sens commun du terme. Il a été fondé par un chef d’orchestre, un pianiste chef de chant, des compositeurs et un ingénieur du son. Dès le début, des chanteurs et des instrumentistes ont été impliqués. C’est donc un ensemble à géométrie variable qui n’inclut pas uniquement des instrumentistes. La vision spécifique du Balcon est d’utiliser la sonorisation comme une prolongation de l’interprétation et de s’approprier les lieux dans lesquels il joue : l’objectif est entre autres de transformer les contraintes d’un lieu en une partie intégrante du travail musical.
Qu’est-ce que la sonorisation change dans votre travail de chanteuse ?
D’abord, Le Balcon ne fait pas de la sonorisation un élément indispensable de ses productions. Par exemple, lorsque nous avons monté Ariane à Naxos de Strauss à l’Athénée, il n’y a pas eu de sonorisation, car cela ne s’y prêtait pas. Il y a eu un travail sonore différent, qui relevait plus de la mise en espace des instrumentistes autant que des chanteurs. Nous avions déconstruit l’espace scénique. L’orchestre partait du public et allait jusqu’au fond de scène et les chanteurs utilisaient également tous les espaces. La sonorisation, même si elle est une des marques de fabrique du Balcon, est un moyen parmi d’autres dans le travail qui est effectué sur la proposition musicale.
En tant que chanteuse, je fais simplement confiance à Florent Derex, l’ingénieur du son du Balcon. Lors de notre première collaboration, je faisais un remplacement de dernière minute : je n’ai pas vraiment eu le temps de me poser de question sur ma manière de chanter avec un micro. Finalement, je me rends compte que je ne change rien à mon chant. C’est l’ingénieur du son qui s’adapte et qui fait une production qui lui est propre, comme cela peut se passer pour un enregistrement. C’est un musicien à part entière, j’ai donc une totale confiance en lui. Par ailleurs, le fait de disposer d’un micro donne une plus grande liberté : je peux aller beaucoup plus loin dans les nuances, notamment dans le registre piano et le parlé-chanté. Je peux également chanter de trois quarts ou même de dos car il n’y a plus de contrainte acoustique. La seule obligation reste de voir le chef, ce qui est possible avec des retours vidéo. En l’occurrence, dans cet opéra, Arthur Lavandier a pensé sa musique en y incluant ce travail de sonorisation pour toutes les parties.
Léa Trommenschlager et Maxime Pascal (© Meng Phu)
Comment entre-t-on dans la famille du Balcon ?
Dans mon cas, cela s’est fait par un remplacement il y a tout juste cinq ans, sur le premier opéra d’Arthur Lavandier, De la terreur des hommes.
Voyez-vous une évolution dans sa composition depuis ce premier opéra ?
Je ne suis pas très bien placée pour en parler techniquement, mais ce que je ressens est qu’il a étoffé et enrichi sa manière d’aborder l’opéra en tant que genre musical. Par ailleurs, en ce qui concerne la musique de mon personnage, étant donné qu’il l’a écrite en sachant que je l’interpréterai, et puisqu’il connaît très bien ma voix de par nos multiples collaborations, il a pu réaliser un travail de haute couture. La partition a été écrite pour moi, « sur mesure ». Depuis 2011, l’autre aspect qui a fortement évolué concerne les moyens à disposition. Et puis la musique a été cette fois écrite pour un lieu d’opéra, puisque l’Opéra de Lille accueille et coproduit le spectacle, tandis que nous étions à l’époque à l’Église Saint-Merri à Paris, où nous étions en résidence. Cela correspondait parfaitement au livret dont l’intrigue se déroulait dans une église, mais les contraintes étaient forcément différentes.
Travailler dans un lieu dédié à l’opéra change-t-il quelque chose à la manière de travailler du Balcon ?
Lorsque nous travaillons à l’Opéra de Lille, nous devons nous adapter aux codes de l’opéra, dont nous pouvons nous affranchir ailleurs. Lorsqu’une force de création comme Le Balcon arrive dans une structure d’opéra millimétrée, cela suppose quelques petits ajustements. Nous essayons de rester flexibles tout en apprenant à respecter les codes, bien que nous soyons tout à fait libres de travailler comme nous le souhaitons à l’Opéra de Lille. Le fait de travailler avec toutes les forces depuis trois ans sert beaucoup le résultat, mais il y a aussi des raisons très fondées pour lesquelles le processus de répétition à l’opéra suit un schéma très précis, et ce depuis de nombreuses années. Chaque chose en son temps : le jeu, la musique, la vision du metteur en scène, la direction du chef. En tant que chanteurs, nous travaillons par strates pour pouvoir, au moment des représentations, nous libérer et laisser tout ce travail s’exprimer naturellement.
Léa Trommenschlager (© Sébastien Moullier)
Comment décririez-vous le livret du Premier meurtre ?
C’est l’histoire d’un écrivain qui est très tourmenté. Je joue le rôle de son épouse. Le spectateur assiste à ses tiraillements, ses convictions, ses doutes et se rend compte au fur et à mesure que les choses sont encore plus complexes que ce qu’il croit : ce que l’on pense qu’il se passe n’est pas nécessairement ce qu'il se passe réellement.
Le livret a été écrit en français par Federico Flamminio qui est un écrivain et poète italien, dans un registre de prose poétique. On ne comprend pas toujours ce qu’il se passe, mais ce n’est pas grave. J’aime prôner ces spectacles dont on sort sans avoir tout compris, parce que cela n’empêche pas de se faire traverser par des images, par des mots, par de la poésie pure. Bien sûr, dans notre travail, nous avons pour nos personnages une histoire très forte, un déroulé et des intentions très précises. Nous pourrions mettre des mots sur cette histoire, mais l’intérêt n’est pas là.
Quels sont les messages qui ressortent de cette œuvre ?
Je serais très heureuse que les spectateurs sortent de ce spectacle sans se tracasser de n’avoir pas tout compris, mais qu’ils se soient laissés portés par la poésie, par les mots, la musique des personnes et des corps. Je ne porte pas de message dans cet opéra si ce n’est qu’il est possible de trouver le spectacle beau sans avoir cherché à tout en comprendre. Non seulement c’est possible et ce n’est pas grave, mais cela fait beaucoup de bien en ce moment : il y a tellement de choses compliquées qu’on nous demande de comprendre ! Il faut voir cet opéra comme une pause, une dilatation du temps.
Quels sont les projets futurs qui vous tiennent à cœur ?
Après le Premier meurtre, je pars à Berlin enregistrer un opéra de chambre qui a été composé cette année par Manuel Durao pour deux voix, un violoncelliste et deux percussionnistes. C’est un ensemble allemand qui est à l’initiative du projet, via Henry, une application pour téléphones et ordinateurs qui publie chaque semaine une nouvelle création musicale, soit en se faisant le relais d’une œuvre, soit en la produisant directement, ce qui est le cas pour ce projet. Nous avons commencé à enregistrer cela en septembre, et nous finirons en novembre pour une sortie en trois épisodes au mois de décembre.
Je partirai ensuite à Salzbourg avec le Balcon pour Jakob Lenz de Rihm, puis j’aurai un récital en Espagne. En janvier, je travaillerai à une nouvelle création avec le guitariste et compositeur de jazz Marc Ducret : j’ai fait du jazz durant mes études à Strasbourg et Marc Ducret est quelqu’un que j’ai souvent entendu en concert, dont le travail m’intéresse et que j’estime beaucoup. Je n’ai donc pas hésité lorsqu’il me l’a proposé. Il s’agira de variations sur Macbeth. Je donnerai ensuite un récital à Compiègne avec Alphonse Cemin et Damien Pass, essentiellement centré sur des chansons de comédies musicales et de cabaret, françaises et américaines. Je travaillerai également avec Vincent Dumestre sur la recréation d’un opéra de Draghi, Il Terremoto.
Léa Trommenschlager (© Sébastien Moullier)
Vous vous impliquez beaucoup dans la création contemporaine : qu’est-ce qui vous y attire ?
J’ai commencé mes études de musique avec ce type de répertoire, cela me semble donc normal. Que ce soit à Strasbourg ou à Berlin, il y avait des classes de composition, j’ai donc tout de suite travaillé avec mes collègues compositeurs. Le fait d’avoir eu Françoise Kubler comme professeur à Strasbourg m’a également ouverte à ce répertoire, qu’elle m’a fait découvrir. « Contemporain » est finalement un grand mot qui est assez galvaudé et qui ne veut plus dire grand-chose car cela regroupe trop de styles différents.
Je ne crois pas que je recherche particulièrement la nouveauté. En revanche, lorsqu’on me propose des formats nouveaux, cela me donne envie : c’est comme cela que j’envisage mon métier aujourd’hui. Le grand répertoire m’intéresse tout autant, mais on ne peut pas tout faire en même temps. Par ailleurs, la manière de fabriquer la musique compte aussi : par exemple, c’est une chance sur le Premier meurtre que le chef et le metteur en scène aient envie de travailler ensemble, et qu’ils choisissent ensemble la distribution. Ça paraît normal mais c’est en fait assez rare.
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