Anja Kampe : Parsifal avec Philippe Jordan, « une histoire d'amour artistique »
Anja Kampe, vous interprétez en ce moment Kundry à l'Opéra national de Paris. Pourriez-vous nous décrire la mise en scène de Richard Jones ?
La mise en scène déploie beaucoup de mouvement, un mouvement continuel pour cette histoire qui continue à aller de l'avant. Par rapport à certaines visions modernes, c'est une production plutôt traditionnelle, qui suit la partition de manière presque fidèle : la fin notamment est différente puisque mon personnage de Kundry ne meurt pas. C'est étrange pour une interprète que d'aller à l'encontre de la volonté exprimée par Wagner (notamment pour la mort de Kundry, qui est un élément clé de l'opéra, de sa rédemption, de sa résurrection, de sa compassion), mais cela m'est déjà arrivé dans d'autres productions.
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Qu'arrive-t-il donc à Kundry après la fin de l'Opéra si elle ne meurt pas, sauvée aux pieds de Parsifal ?
Cela reste un mystère... Elle prend la main de Parsifal et ils quittent la scène, suivis par tous les fidèles du Graal.
Est-ce que la réaction du public est importante pour vous ?
C'est toujours important de ressentir le retour du public, pas seulement à la fin de l'œuvre. Je comprends qu'ils puissent aimer ou ne pas aimer, cela ne me dérange absolument pas, mais j'ai besoin que le public soit avec moi, qu'il suive l'histoire que j'essaye de lui conter et même dans les opus de Wagner où il n'y a pas d'applaudissements fréquents, après des arias, on sent l'attention, la tension du public, le silence.
Souhaitez-vous d'ailleurs que le public n'applaudisse pas après le premier acte, comme c'est la tradition pour Parsifal ?
C'est une tradition, mais ça ne me dérange nullement, comme lorsque les spectateurs applaudissent pendant un concert, entre les mouvements. Le public a besoin de réagir pour exprimer ses émotions.
Qu'attendiez-vous de la salle à Bastille ?
J'avais chanté à Bastille en septembre 2016 pour un concert Wagner dirigé par Philippe Jordan mais je fais mes débuts scéniques sur cette scène avec Parsifal. Je suis d'abord venue à Bastille en tant que spectatrice, assise loin et la scène m'a parue assez distante. Or, il me paraît plus difficile de rester naturelle en faisant de grands gestes (comme au cinéma muet) pour être visible de loin. D'autant que certaines scènes de Parsifal sont chambristes.
Mais la voix doit porter largement pour du Wagner ?
Certes, il faut habituellement une grande puissance pour passer l'imposant orchestre, mais l'acoustique me semble très bonne ici. J'étais très agréablement surprise par les enregistrements captés à Bastille.
Comment se déroule la collaboration avec Philippe Jordan ?
Merveilleusement ! Chaque fois que nous nous rencontrons, c'est une histoire d'amour artistique ! Son travail est extrêmement détaillé, il contrôle tous les paramètres et sait exactement ce qu'il veut. En même temps, il aide l'interprète à trouver sa couleur, sa ligne, son chant dans un travail en commun.
Est-il particulièrement difficile de jouer un rôle aussi tourmenté et torturé que Kundry ?
C'est Merveilleux au contraire ! J'aime, j'adore ce type de rôle (bien plus que les sages Elsa dans Lohengrin ou Elizabeth dans Tannhäuser). Kundry fait partie de celles qui donnent tout et elle se dévoue pour sauver l'homme. C'est en général l'image que Wagner a donnée aux femmes dans ses œuvres. C'est un défi et j'adore les challenges. Elle est non seulement damnée mais aussi à la marge et personnifie l'étranger pour les autres qui l'évitent. Elle a une personnalité déséquilibrée et désespérée. D'autant que le personnage évolue et qu'il a deux visages : elle peut être à la fois très laide et agressive mais également très belle, séduisante, compassionnelle et pleine d'amour, tel Janus.
Bien que Kundry soit un personnage unique, son caractère peut-il vous servir pour construire d'autres rôles ?
Indéniablement, elle partage des caractéristiques avec Senta : l'amour exclusif, l'envie de sauver ainsi un homme.
Vocalement, comment passez-vous de Wagner à d'autres styles ?
Une complémentarité des styles est très favorable à une voix et c'est important non seulement de chanter Wagner mais aussi par exemple des répertoires différents tels que l'Italien ou le Russe. Surtout pour garder la flexibilité de la voix.
Être considérée comme une référence dans le répertoire wagnérien, est-ce aussi une limitation ?
Bien sûr ! Car les gens pensent que c'est mon seul répertoire, alors que j'ai vécu une expérience formidable en chantant Tosca et je vais interpréter La Fanciulla del West.
D'autant que vous avez longtemps vécu en Italie, qui est votre seconde patrie, qu'avez-vous appris à Turin avec votre professeur Elio Battaglia ?
Ah, Elio Battaglia [sourires] ! Il n'était pas chanteur d'opéra, mais spécialiste de Lieder. Il travaillait également beaucoup sur la manière de parler d'une œuvre et tout cela m'a aidée dans ma recherche pour bien exprimer, expliquer même le sens du texte. Même les germanophones ont besoin de se plonger dans le sens de ces textes (notamment pour Wagner qui a utilisé un allemand ancien et a même créé des néologismes).
Quels souvenirs gardez-vous de vos débuts professionnels ?
C'était une production d'Hänsel et Gretel à Turin et en italien ! Il y avait beaucoup d'enfants radieux dans le public et je m'en souviens encore aujourd'hui.
Vous avez fait sensation en chantant Sieglinde face à Plácido Domingo au Washington National Opera. Vous attendiez-vous à ce que cette production soit un tel événement ?
Non, absolument pas ! Une collaboratrice de Plácido Domingo m'avait entendue chanter et elle a profité de la présence du maestro à Munich pour m'inviter à chanter devant lui. Je n'en revenais pas !
Le 19 janvier 2018, vous avez été nommée Kammersängerin au Théâtre national de Munich. Vous attendiez-vous à cet honneur ?
Non, c'était une grande surprise et un honneur que l'on me demande si j'accepterais ce titre, qui est une récompense fantastique et très émouvante ! J'ai un public fidèle à Munich qui me connait dans différents rôles, ils sont toujours merveilleux avec moi. Cet honneur est comme un accomplissement pour une carrière. D'autant que la remise du prix a lieu après la représentation (il s'agissait d'une Walkyrie) et même si je m'y attendais, le discours et l'ovation du public m'ont bouleversée, j'ai failli m'évanouir [larmes] !
Vous chantez également des opus plus modernes, comme pour la création américaine des Stigmatisés de Franz Schreker (1878-1934), comment abordiez-vous cette nouveauté ?
Avec beaucoup de confiance, car c'était en compagnie de James Conlon, qui est un spécialiste de ce répertoire et offre beaucoup à cette musique.
Est-ce que Schreker pourrait cependant vous amener à d'autres œuvres du XXème siècle ?
Le Wozzeck de Berg, oui, mais la musique moderne ne parle pas à mon oreille : j'ai l'impression de devoir toujours y conserver le contrôle sans pouvoir me libérer.
Quels nouveaux rôles souhaiteriez-vous aborder ?
Au-delà de nouveaux rôles, je sais ceux que je veux garder, comme Isolde et Sieglinde, ainsi que Senta. Je verrai ensuite si je vais vers Leoš Janáček.
Peut-être du russe ou du Strauss ?
J'évite le répertoire trop large, trop dramatique. On me propose Elektra mais c'est un rôle trop lourd pour ma voix, avec un trop grand orchestre. C'est une voie sans retour, une fois que la voix évolue dans cette direction. Je veux conserver ma voix lyrique et chanter de nombreux répertoires.
Vous pourriez aussi aborder ces rôles dans de plus petites maisons ou en version de concert ?
Dès que je l'ai pu, j'ai toujours visé de grands rôles dans de grandes maisons. Si un rôle est adapté à une voix, il fonctionnera partout. Si cela ne fonctionne pas, il faut savoir y renoncer.
Vous avez travaillé avec les chefs d'orchestre parmi les plus renommés. Comment s'opère la rencontre et l'accord entre l'artiste et le chef ?
Les grands chefs sont ouverts à la vision de l'interprète.
Qu'en est-il pour votre travail avec des metteurs en scène aux visions uniques ?
Je n'ai pas vécu de conflit absolu. S'il existe une incompréhension ou un désaccord, il faut en parler, échanger et si aucune solution ne peut être trouvée, il faut dire au revoir. Mais un accord doit pouvoir être trouvé et l'artiste doit faire avec, afin de pouvoir convaincre le public. C'est difficile mais il faut le faire avec honnêteté et se rappeler qu'un interprète ne voit parfois qu'une partie du propos scénique global, même si le metteur en scène devrait être capable de lui expliquer. Un chanteur doit jouer, se mouvoir, incarner entièrement son personnage.