L'art de prétendre
Pénélope est un poème lyrique composé par Gabriel Fauré à partir de l'épopée homérique. Il est le fruit d'une commande de la soprano Lucienne Bréval, célèbre wagnérienne de l'époque. Cinq années lui sont nécessaires pour composer cette œuvre qui le laisse « aplati de fatigue ». Créée le 4 mars 1913 à l'Opéra de Monte-Carlo, elle reçoit un accueil contrasté en raison de la complexité de son langage musical. L'on y trouve en effet des éléments wagnériens (les leitmotivs), debussystes, une inspiration mélodique propre au dernier Massenet, qui se conjuguent avec la spécificité du langage musical du compositeur. Une fois les années 1920 passées, elle connut une postérité discrète, avant d'être réenregistrée à partir des années 1960 et 1980, notamment par Régine Crespin et Jessye Norman.
Nous retrouvons cette dernière dans l'air "Je me plaignais du sort".
Pénélope attend depuis vingt ans que son mari Ulysse revienne. Elle a promis à ses prétendants qu’elle épouserait l’un d’eux lorsqu’elle aurait fini de tisser le linceul destiné à son beau-père. Pour retarder l’échéance, elle défait chaque nuit son travail de la journée. Les prétendants découvrent sa ruse et la somment de choisir un époux. Cet air se situe à un moment décisif de l'œuvre où Ulysse, déguisé en vieillard, se présente devant Pénélope, désespérée. Celui-ci émet l'hypothèse que son époux reviendra dans la nuit, suscitant l'espoir de son retour.
Voici le passage correspondant dans le livret :
PÉNÉLOPE
Je me plaignais du sort ! Quelle démence !
C’est demain seulement que mon malheur commence !... (Elle aperçoit Euryclée qui vient vers elle accompagnée d’Ulysse)
Hélas ! Hélas ! l’espoir me fuit !...
ULYSSE
Ulysse reviendra peut-être cette nuit...
EURYCLÉE
Le vieillard a raison, Pénélope. Peut-être
Cette nuit rentrera le maître...
PÉNÉLOPE
Pourquoi n’est-il pas revenu ?
ULYSSE
Ce qui doit arriver des dieux seuls est connu,
A leur gré notre vie est lugubre ou prospère...
PÉNÉLOPE
Hélas !...
EURYCLÉE
J’espère encore !
ULYSSE
Espère aussi !
PÉNÉLOPE
J’espère !...
Viens, Euryclée... Ainsi que chaque soir
Montons jusqu’au sommet de la colline
D’où l’on peut voir briller toute la mer divine,
Et le sort pitoyable enfin nous fera voir
Peut-être
Et reconnaître —
Jamais mon cœur n’eut un désir plus cher ! —
La nef d’Ulysse sur la mer !
ULYSSE
Me permets-tu de t’accompagner, Reine ?
PÉNÉLOPE
Quoi ! pauvre homme, tu prends tant de part à ma peine ?
Le repos conviendrait à tes membres las...
ULYSSE
Non !
Je me sens plus dispos. Ton accueil fut si bon... (Pénélope entre dans sa chambre suivie d’Euryclée. Ulysse reste seul. Il se redresse, va au trône de Pénélope, baise les franges du drap qui le recouvre, et le linceul abandonné, et des yeux et des mains salue tous les objets.)