Pelléas et Mélisande à Liège, épisode 10 : interludes
« Pelléas est considéré comme le chef-d’œuvre de Debussy car il s’agit de son unique opéra mais on en oublie qu’il s’agit d’une œuvre de relative jeunesse.
Les interludes permettent donc de constater combien Debussy grandit au fur et à mesure de l’écriture. Car ces interludes sont écrits à la dernière minute (comme Mozart qui écrit l’Ouverture de Don Giovanni quasiment dans les loges avant le spectacle) : là, c’est Messager [André Messager, chef d’orchestre qui dirigea la création de cet opus à l’Opéra Comique de Paris, ndlr] qui dit à Debussy, et même c’est André qui dit à Claude, à la dernière minute, que les changements de décors vont prendre plus de temps que prévu, et qu’il faut donc rallonger la musique des interludes.
D’ailleurs, à Bordeaux j’ai dirigé et enregistré la version première/primitive, avec l’orchestration première de Debussy et sans les interludes. Or, ces interludes ont dû être rajoutés par Debussy, et pourtant en leur absence, il nous manquait quelque chose : dans les transitions entre les scènes qui paraissent sinon abruptes.
C’est d’ailleurs un paradoxe : on a une tendance pour la musique ancienne à remonter aux versions d'origines et premières (même si les compositeurs révisent et reprennent leurs partitions régulièrement) tandis qu’à l’inverse, en avançant vers les époques romantiques et modernes, on vise alors à s’approcher de la dernière expression du compositeur. Il faut dire qu’au temps de Debussy, le langage musical évolue à une telle vitesse que les compositeurs sont eux-mêmes pris dans un flot, dans un torrent esthétique (même cinq ans après la publication d’une œuvre, le langage a pu tellement changer que le compositeur peut vouloir reprendre sa partition). Cela se ressent donc pleinement dans cette œuvre à laquelle Debussy travaille durant une décennie : entre 1893 lorsqu’il assiste à une représentation de la pièce de Maeterlinck et donc les interludes et la création en 1902 à l’Opéra Comique.
Ces interludes (que nous interpréterons bien entendu intégralement à Liège) furent un des points d’achoppement de la critique au moment de la création de Pelléas. Ils furent taxés de Wagnérisme (une insulte à la mode dans le milieu artistique français au début du XXe siècle). Dès qu’une musique paraît nouvelle et brouille des repères pour un public conservateur, dès que l’usage du chromatisme fait perdre des repères harmoniques, alors le résultat se voit taxé de Wagnérisme.
En outre, Debussy emploie la gamme par ton (et son usage est similaire, dans ses objectifs et son fonctionnement, à une musique de douze sons : Debussy, en choisissant des intervalles réguliers d’un ton nous fait nager, flotter dans un univers qui n’a pas vocation à se résoudre par la cadence de la dissonance retournant à la consonance).
Et pourtant, c’est leur richesse, les interludes illustrent aussi par leur chromatisme (les demi-tons) la tension du drame, et Debussy montre toute l’influence de Wagner qu’il reniera plus tard… Le fait qu’il ait dû composer ces interludes en quelques heures fait remonter encore plus directement ses influences profondes.
Dans ces interludes comme ailleurs, je ne crois pas du tout dans le cliché d’une musique évanescente, diaphane, aquarelle, … qui colle à Debussy et à la musique française. Et il ne faut pas non plus voir dans la dimension symboliste héritée du texte de Maeterlinck une expression un peu froide et mécanique qui permet de renvoyer un mot à un symbole et de dire les choses sans les dire.
Au contraire, les symboles relient la force du sens et cette musique est éminemment romantique, c’est une musique de l’expression des sentiments.
Je ressens une grande excitation à l’idée de la diriger et particulièrement de retourner à Liège, aussi par reconnaissance envers cette maison. Leur premier Concours International de Chefs d'Orchestre d'Opéra en 2017 a été un tournant dans ma carrière, un accélérateur extraordinaire
Il m’a même labellisé chef d’opéra (au point que je dois un peu me ‘battre’ parfois contre cette reconnaissance pour bien rappeler que je suis aussi chef symphonique et de ballet). J’ai vécu à Liège des émotions extraordinaires, sur le plan artistique et personnel (c’est comme une compétition sportive dans la quantité de travail, d’abnégation, le dépassement que cela exige). J’y suis retourné six mois après pour diriger des représentations de Carmen, j’ai hâte de retrouver ces musiciens. C’est étrange, j’ai comme l’impression d’appartenir à leur famille. J’ai hâte de leur montrer ce que j’ai ramené de voyage dans ma baguette et de leur redire merci de m’avoir aidé sur cette voie.
Et puis on ne va pas se le cacher, j’ai également hâte de manger des gaufres et des boulets. »
Retrouvez ci-dessous les 10 épisodes de cette série dans laquelle les interprètes de cette production nous présentent leurs personnages (et pour réserver vos places, le lien est ici) :
1. Pelléas et Mélisande par Renaud Doucet
2. Pelléas par Pelléas par André Barbe
3. Pelléas par Pelléas (Lionel Lhote)
4. Golaud par Simon Keenlyside
5. Arkel par Inho Jeong
6. Geneviève par Marion Lebègue
7. Yniold par Judith Fa
8. le médecin par Roger Joakim
9. l’enfance d’un chef
10. interludes