Festival de Pâques d'Aix-en-Provence 2024 : Missa Solemnis
« Le Cercle de l'Harmonie est en résidence depuis pratiquement six ans au Grand Théâtre de Provence. Nous y avons une activité assez étendue, artistiquement, musicalement mais aussi socialement. Nous étions également invités, en 2020, pour l'édition du Festival qui a finalement été annulée… et c’était pour la Missa Solemnis.
Il ne semblait d'abord pas possible de reprendre ce concert, entraînant une grande déception. Mais, l'année dernière, j'ai été appelé (un peu au dernier moment) pour remplacer Daniel Barenboim à la Philharmonie de Berlin, pour diriger cette œuvre.
J'étais également à ce moment au Grand Théâtre de Provence. Cela a interpellé Dominique Bluzet et Renaud Capuçon [directeur exécutif et directeur artistique du Festival, ndlr], et la décision a été prise de reprogrammer cette œuvre.
Nous avions répété cette Missa, avant les annulations. C'était un crève-cœur que de l’abandonner après une très belle séance de répétition. Je connais très bien cette œuvre que j'ai beaucoup dirigée, un peu partout en Europe mais que j'aborde paradoxalement pour la première fois avec mon orchestre. C'est un moment très attendu dans l'histoire de l'orchestre et pour moi.
C'est une pièce qui m'a toujours intrigué et envouté, d'abord parce qu'il s'agit d'une forme de testament artistique et musical pour Beethoven (ce qui interpelle quand on connaît la richesse de son catalogue orchestral). L'œuvre est également assez énigmatique, dans sa conception, dans son élaboration, dans sa richesse. L'interprétation historique, informée, permet à ce type d'œuvres, et peut-être notamment à celle-ci en particulier, d'en retrouver les couleurs et la portée dramatique. C'est une œuvre qui a pu pâtir à mon sens d'une certaine tradition, de tempi trop assis (en particulier dans l'exécution de la partie chorale). Pour moi, sa richesse est bien plus spontanée : c'est toujours un défi et un enjeu très intéressants pour les interprètes.
Cette pièce est vraiment testamentaire. On pourrait parler, parmi les sommets de ce genre, du Requiem de Mozart mais je la range plutôt du côté des œuvres dont elle s’inspire ou qu'elle va inspirer (Le Christ au Mont des Oliviers qui présente un aspect indispensable de la maîtrise dramatique de Beethoven, ou Le Paradis et la Péri de Schumann). C'est un peu le modèle de toutes ces œuvres-là.
Or, dans l’histoire de notre orchestre [Le Cercle de l'Harmonie qui joue sur les instruments correspondant à l’époque des œuvres, en remontant aux volontés du compositeur et aux traditions d’interprétation, ndlr], nous avons pu travailler tout un ensemble d'idiomes qui ont été constitués par la pratique de notre répertoire : à la confluence du classicisme et du début du romantisme mais également plus tardifs (avec l'exploration de Brahms dans le domaine symphonique et de Verdi récemment).
Tout ce travail nous permet de construire un langage qui devrait être totalement adapté à notre interprétation de cette Missa Solemnis. Cette rencontre entre l'orchestre et ce grand texte de musique sacrée, c'est la clarté : celle de la forme et de ses éléments, permettant une pleine appréciation du public qui pourra aller au cœur de la musique (c'était le but recherché par Beethoven qui investissait beaucoup d'attentes dans cette œuvre).
Quant au passage que je trouve le plus bouleversant dans cette pièce, il s’agit du Miserere dans l'Agnus Dei…
Le Miserere, c’est le fatum, la misère de l’homme qui cherche continuellement sa place et le sens de sa vie sur Terre, et qui trouve une certaine résolution (pour un musicien dans l’expression la plus simple et la plus dépouillée mais en même temps la plus troublante). C’est ce qui m’émeut : ce n’est pas une ligne opératique, un grand élan ou une déclamation, c’est une forme de vérité et d’efficacité de l’expression vocale bouleversante.
Je suis très heureux d’interpréter cette œuvre dans ce Festival, avec la Audi Jungendchorakademie, un chœur de jeunes voix extraordinaires avec lequel j’ai travaillé pour la première fois pour Le Paradis et la Péri de Schumann justement (et je l’ai fait plusieurs fois avec eux ensuite). J’avais été ébloui, en particulier par la qualité vocale des sopranos, aux voix jeunes, fraîches, sans vibrato et capables d’une très grande projection. C'est la première fois qu’ils viennent en France, ils commencent à avoir une sacrée réputation, tout le monde a envie de les entendre.
Quant aux solistes, ils font partie de mon équipe de rêve. Varduhi Abrahamyan a une carrière déjà immense, elle chante régulièrement au Met, et lorsque je l’ai connue elle tenait cette partie de mezzo-soprano, j’étais extrêmement séduit. J'ai travaillé plusieurs fois avec Johannes Weisser (également pour la Missa Solemnis). Je suis ravi de travailler avec Chen Reiss pour la première fois, et Daniel Behle est le ténor idéal, pour sa diction parfaite, son goût de la langue.
Ce sont un peu mes chanteurs préférés pour cette pièce. »
Retrouvez les deux autres épisodes de cette série : Le Chant de la Terre et Les Indes galantes par François-Xavier Roth et Le Messie de Haendel par Laurence Equilbey et vous pouvez retrouver le programme complet & réserver vos places pour le Festival de Pâques d'Aix-en-Provence 2024 à cette adresse