Zémire et Azor à l'Opéra Comique : la lettre du père
« Ce sont les récitatifs accompagnés : parce que nous sommes alors entre deux mondes, et ce sont donc des moments clés pour un tel opéra-comique (où alternent airs, ariettes, ensembles et dialogues parlés). Parce qu'en trois phrases, Grétry résume son extraordinaire talent pour la simplicité : faisant en sorte que la mélodie et l'harmonie racontent l'essentiel.
Ces moments permettent aux interprètes de faire le lien entre la musique et le texte, la manière de dire ces vers rimés en alexandrins qui sont musique. Pour cela aussi c'est formidable d'avoir Michel Fau pour partenaire : il dit souvent aux chanteurs combien le rythme des vers et la ponctuation des phrases peut se jouer sur chaque vers, il souligne l'importance d'éviter d'aller trop vite avec de grandes ponctuations : il faut faire ressentir la rime et le sens. Et c'est tellement musical ! la déclamation lyrique et théâtrale sont si proches ! C'est l'essence même de l'opéra-comique, qui se joue en particulier dans ces moments de récitatifs.
C'est aussi mon conseil aux interprètes : avoir toujours cet équilibre entre le phrasé et la phrase, entre l'articulation et la ligne. Pour que les monde se rejoignent, les dialogues doivent être rythmés. Par exemple, ce moment où Sander, le père, écrit une lettre :
Acte II - Scène 7 SANDER, seul. Récitatif Obligé. Il écrit.
Je vais faire encore un voyage,
Bien long, peut-être ! … Ô vous que je laisse au milieu
Des écueils de votre âge,
Veille sur vous le ciel ! … Jouissez en ce lieu
Des douceurs d'une vie obscure, honnête et sage ….
Aimez-vous, aimez-moi. Je vous embrasse. Adieu.
Tout est théâtre dans l'orchestre de Grétry, les cordes en poinçon avec sourdine, leurs vagues en mouvements du chœur, la plainte des bassons. Grétry est un peintre des sentiments et des mots, avec une telle simplicité. Souvent, on dit aux musiciens de chanter plus : "molto cantabile" pour être toujours plus expressifs. Chez Grétry et souvent dans l'opéra-comique, il ne faut pas chanter plus mais parler plus. Cela mène à sculpter et ciseler chaque phrase, le moindre détail pour s'en émerveiller.
Il faut que chaque voyelle soit une pierre précieuse, il s'agit d'utiliser toute la couleur de chacune : la phrase devient alors vitraux. Trop souvent oublié, Marmontel [le librettiste de cette œuvre, ndlr] est un vrai musicien de la langue. Que tout ne soit plus qu'un, comme le dit Grétry lui-même : "le poète, le musicien, le chanteur et l’orchestre doivent tous sentir de même". Et tout cela avec une incroyable économie de moyens. Deux siècles avant le less is more des minimalistes, il dit déjà "Je préfère le moins au plus." Alors on lui reproche cette épure, on se moque en disant qu'entre la ligne mélodique et la basse on pourrait faire passer un carrosse à six chevaux, mais Grétry l'assume : il déconseille que les musiciens “complètent” la partition en ajoutant, en remplissant comme c'était le cas alors des musiciens italiens notamment. La simplicité du discours a son effet direct sur le cœur et l'âme, sans surcharger en contre-point et en effets d’orchestre.
Nous devons suivre le modèle et le travail de Michel Ange qui, en voyant un bloc de marbre, y voyait déjà sa statue : il ne disait pas qu'il la sculptait mais qu'il la délivrait. Le compositeur a une idée et il utilise tous les éléments de mélodie, rythme, harmonie, tempo, orchestration
pour arriver au plus près de son désir d'expression (tandis que nous faisons le chemin inverse : partant de la fin pour retrouver l'idée première). »
Retrouvez chaque jour un nouveau protagoniste dans un nouvel épisode de cette série, et rendez-vous Salle Favart du 23 juin au 1er juillet 2023 pour assister à cette production
- Épisode 1 - Zémire
- Épisode 2 - Azor
- Épisode 3 - Lisbé
- Épisode 4 - Fatmé
- Épisode 5 - Ali
- Épisode 6 - Sander
- Épisode 7 - Zémire et Ali
- Épisode 8 - Ouverture
- Épisode 9 - Le Ballet
- Épisode 10 - La Lettre du Père