En Bref
Création de l'opéra
Quartett est un opéra de chambre de Luca Francesconi, créé à La Scala de Milan le 26 avril 2011. Le livret est écrit en anglais par le compositeur, d’après la pièce de théâtre en allemand Quartett (1980) de Heiner Müller, libre inspiration des Liaisons dangereuses (1782), célèbre roman épistolaire (par échange de lettres) français de Choderlos de Laclos.
Dans cette réécriture, les deux personnages vivent simultanément dans un boudoir avant la Révolution française et dans un bunker (boudoir moderne) après la Troisième Guerre Mondiale. L’œuvre est un immense succès : avec 65 représentations dans cinq productions en moins de six années, elle connait une carrière inédite depuis Le Grand Macabre (1978) de Ligeti.
Clés d'écoute de l'opéra
Duel
Cet opéra ne compte que deux personnages. Toute l’intrigue est un duel à mort s'étalant sur 80 minutes, et opposant le Vicomte de Valmont et la Marquise de Merteuil (qui rivalisent de mensonges et de charmes en s’envoyant des lettres dans le célèbre roman français Les Liaisons dangereuses). Le duel est vocal : les lignes de la soprano et du baryton se joignent, s’opposent, s’entremêlent, s’interrompent, se prolongent, se parodient. Le duel des personnages est aussi celui de deux orchestres : un ensemble symphonique traditionnel et un orchestre de sons électroniques. Les hauts-parleurs projettent les voix des deux chanteurs, ainsi que des enregistrements d’un plus large orchestre et chœur. Les effets sonores électroniques sont des feulements séducteurs ou des déchirures agressives, comme les relations entre les personnages. Les sons instrumentaux accompagnent les chanteurs, soit en “collant” à leur voix (jouant les mêmes notes pour soutenir les lignes), soit en de longues et fines tenues sur lesquelles le chant peut se déployer, soit enfin en énergisant le chant et en projetant ses lignes. Le dispositif permet des effets de spatialisation. C'est le cas dès le début de l'œuvre : dans le prélude, le son pianissimo part de l'orchestre derrière la scène et progresse dans la salle, passe au-dessus des spectateurs puis va même derrière eux dans les enceintes.
Miroir
Luca Francesconi revendique la violence de cet opéra, la dimension blasphématoire et sexuelle. L'enjeu est de mettre le spectateur face à lui-même, à ses faiblesses et à ses égoïsmes, à travers le cynisme absolu des personnages. La pitié, l’amour, les sentiments disparaissent absolument, au profit du jeu : « Chaque sourire révèle une dent acérée ». C’est ce miroir qui explique pour partie le titre Quartett dans un opéra pour deux personnages. Ils sont certes en face-à-face, mais chacun est également face à lui-même. Ils renvoient leur image au public. Les deux personnages sont toujours doubles, avec des intentions secrètes, agissant derrière un masque ou dans un jeu de rôle dans lequel ils convoquent deux personnages supplémentaires : la chaste Madame de Tourvel, et Volanges, une jeune vierge. Le spectateur observe ce couple dans ce que Francesconi qualifie de « peep show claustrophobique ». L’informatique souligne cette dimension, avec des amplifications de passages vocaux et instrumentaux, comme des "zooms" sonores qui permettent d’entendre de plus près, d'observer la musique.
Bien entendu, les deux interprètes sont également des miroirs l’un pour l’autre. Ils échangent même leurs rôles, l’homme se travestissant en femme et vice-versa. Dans ces passages, ils échangent leurs thèmes musicaux. La Marquise de Merteuil chante ainsi le motif du Vicomte de Valmont (sol-ré-mi-la-sol, l’accord d’un autre libertin d’opéra : Don Giovanni de Mozart).