Pretty Yende à Bordeaux : un récital aux reflets changeants
C’est dans les ors du Grand-Théâtre que le public a rendez-vous, pour un récital inscrit dans la série des “Grandes Voix” de la saison de l'Opéra National de Bordeaux. Le décor XVIIIème siècle de ce théâtre à l’italienne confère à l'événement des airs de gala, autant par l’apparat que par le prestige de l’actrice principale de la soirée : la soprano sud-africaine Pretty Yende, régulièrement à l’affiche des productions du Metropolitan Opera House de New York, du Théâtre San Carlo de Naples ou du Staatsoper de Vienne. L’attente était grande parmi le public bordelais féru de lyrique.
Retrouvez également le compte-rendu Classykêo de ce récital : Pretty, with a twist !
D’opéra cependant il n’y a pas dans le programme concocté par le duo Yende-Garcia Diepa, consacré presque exclusivement à la mélodie, avec Debussy en fer de lance, assorti des Trois Sonnets de Pétrarque de Franz Liszt. En échos lyriques figurent des extraits de zarzuelas espagnoles de Geronimo Gimenez et quelques chansons italiennes des maîtres du bel canto Rossini, Bellini et Donizetti.
C’est par ces trois-ci que démarre le récital. Dans ce répertoire, pour lequel elle est pourtant plus qu’attendue, Pretty Yende semble en délicatesse avec la ligne imposée, ses sauts d’octave d’ornementation et la mise à nu de la voix devant un accompagnement discret. Le geste manque de simplicité, le souffle est puissant mais sans souplesse, et la justesse se perd parfois dans un placement vocal méconnaissable. La salle semble en fait trop petite pour cette voix habituée à se déployer, ce que vient confirmer la séquence purement mélodiste du programme. À ce moment-là, le récital prend un tour surprenant.
Contrairement aux attentes et pronostics (qui attendaient bien davantage d'épisodes lyriques que mélodistes), dès les premières mesures de Beau Soir, les soucis de justesse et de placement disparaissent instantanément avec Claude Debussy, laissant place à la musicalité conduite. Dans des nuances piano, l’oreille attentive retrouve la richesse habituelle du timbre de Pretty Yende, ce mélange habile d’ampleur et d’acuité, tout comme cette agilité qu’un souffle solidement ancré lui permet. Dans cette séquence, conclue par Apparition, Pretty Yende semble trouver à la fois ses marques dans l'espace acoustique de la salle et l'intimité avec le public.
Une authentique relation musicale s’opère également avec sa pianiste du soir : l’espagnole Vanessa Garcia Diepa, qui offre dans les Trois Sonnets de Pétrarque de Franz Liszt une interprétation délicate, le rubato (souplesse rythmique) cher au compositeur hongrois trouvant là l’opportunité de se déployer, pour offrir d’amples respirations à la ligne vocale. Mais là où la pianiste règne vraiment, c’est en son pays, naturellement. Dans les trois extraits de Zarzuelas de Geronimo Gimenez, courts opéras typiques du théâtre espagnol, son jeu d’une grande précision et son toucher léger lui permet de souligner le discours musical par des saillies virtuoses et enflammées.
S’appuyant sur cette forte théâtralité, c’est à ce moment-là que Pretty Yende fait son “show”. Très habile dans la langue de Cervantes, à la fois dans son débit de parole incandescent et dans ces exclamations héritées du flamenco, elle livre une performance scénique qui conquiert le public. Elle lance ça et là quelques œillades complices en direction des premiers rangs, et des signes de la main aux loges au-dessus d’elle. Naturellement emballés par cette dernière séquence du récital, les spectateurs se lèvent, dans une ovation comme le Grand-Théâtre de Bordeaux en connaît rarement. Les cris de joie et les "bravo" pleuvent, preuve de la sympathie et de l’aura dont jouit Pretty Yende, qui avait gardé dans sa manche une dernière carte maîtresse : le célèbre Una voce poco fa extrait du Barbier de Séville de Rossini, dans une interprétation spectaculaire de maîtrise et de virtuosité technique. Et pour dire au revoir, un deuxième bis dédié “à tous ceux qui souffrent dans le monde”, selon ses mots : le délicat Somewhere over the rainbow, extrait de la bande son du Magicien d’Oz, composé par Harold Arlen.