Tosca ne passe pas à la trappe et triomphe en Avignon
La mise en scène de Jean-Claude Berutti est bien reçue dans l’ensemble par le public, mais sans faire l’unanimité. La trappe du plateau est constamment utilisée pendant le spectacle : servant de cachette (remplaçant la chapelle familiale des Attavanti), de pièce de torture, d’entrée et de sortie de la cellule de Cavaradossi au Castel Sant’Angelo. Un choix des plus pratiques, comme le plan de la ville de Rome projeté sur un écran transparent descendant devant la scène, une sorte de GPS qui permet au public de suivre les déplacements des personnages au début de chaque acte, ou encore avec ces projections des différents lieux (prises de vue de Julien Soulier et Virginie Lançon affichées en fond de scène). Les localisations restent néanmoins respectées, en accord avec le contexte historique de l’œuvre.
Les décors de Rudy Sabounghi s'appuient dès lors essentiellement sur ces éléments, outre tables, chaises, et une colonne illuminée, sur le côté, parée des mêmes motifs que le fond de la scène.
Les costumes de Jeanny Kratochwil sont très sobres et élégants, dans le style de l’époque. Les lumières de Lutz Deppe sont utilisées avec intelligence, surtout pour donner du dramatisme et mettre en valeur les solistes.
Floria Tosca, la cantatrice amoureuse de Cavaradossi, est ici incarnée par la soprano néerlandaise Barbara Haveman. Elle présente une voix chaude au timbre soyeux, accompagnée d’un phrasé très élégant. Sa projection et sa puissance se font considérables dans les moments les plus dramatiques. Ses aigus brillants et bien soutenus traversent la masse sonore de l’orchestre sans aucune difficulté. Son Vissi d’arte transmet le désarroi à travers son jeu théâtral et une expression vocale qui déborde de tristesse, sans perdre en stabilité, ce qui lui vaut des applaudissements.
Mario Cavaradossi est interprété par le ténor lyonnais Sébastien Guèze, d’une voix claire et large, assurée dans toute la gamme. Il s’appuie sur son souffle et son ouverture des voyelles, surtout pour les aigus, musclés parfois au point d’être en force. Son assurance de jeu soutient son aisance scénique mais manque un peu de connexion avec la soprano lors de leurs duos. Il sait, seul, transmettre à travers son regard l’émerveillement face au souvenir des yeux de Tosca et la passion à travers sa voix projetée et finement vibrée, puis intensément et sans pousser (au point que le public ne peut pas s’empêcher d’applaudir la fin de son air “E lucevan le stelle”, coupant malheureusement le finale de l’orchestre qui exprime l’envie de Cavaradossi d’échapper à la mort, montant à deux reprises mais pour retomber de suite, dans la mort figurée musicalement).
Scarpia, le chef de la police pro-Bourbon, maléfique et luxurieux, est interprété par le baryton André Heyboer d'une voix grave et chaude, intense et ferme, profitant d’une bonne stabilité. Sa projection fait passer sa voix charnue par-dessus l’orchestre avec facilité la plupart du temps, le tout rehaussé par une interprétation crédible et une présence patente sur scène.
Le consul de l’ancienne République Romaine et prisonnier politique de Scarpia, Cesare Angelotti (sûrement inspiré de Liborio Angelucci, l’un des consuls de la République Romaine nommé par Bonaparte) est interprété par la basse Ugo Rabec. Sa voix chaude et caverneuse pose une belle présence et un long souffle mais il est malheureusement souvent couvert par l’orchestre. Le sbire de Scarpia, Spoletta, est interprété par le ténor palermitain Francesco Ciprì. Il expose une voix claire et joliment vibrée, mais qui aurait pu être un peu mieux canalisée par moments. Comme plusieurs de ses collègues, il est très souvent couvert par l’orchestre.
De retour à l’Opéra Grand Avignon, le baryton Jean-Marc Salzmann campe le sacristain d'un jeu théâtral, drôle et attendrissant. Sa voix ronde est toujours bien timbrée et accentuée.
Membres du Chœur d’Avignon, les basses Saeid Alkhouri et Pascal Canitrot, interprètent respectivement Sciarrone et un geôlier. Malgré leurs petites interventions, ils font bonne impression et donnent à leurs personnages une certaine existence. Le premier montre une voix profonde et charnue, accompagnée d’une présence scénique imposante. Le deuxième a une voix grave, mais plus légère que son collègue, avec un jeu plus solennel, en accord avec son personnage.
Le berger au début du troisième acte est confié à deux jeunes membres de la Maîtrise de l’Opéra Grand Avignon en alternance de jeu et de chant : Angelina La Palombara est sur scène pour cette première, tandis que la voix est confiée à Lucie Oléon. Le chant, en effet de loin, est néanmoins clair, elle tente de l’arrondir sur des attaques que l'avenir portera à gagner stabilité.
Le Chœur et la Maîtrise apportent dynamisme et couleurs à la scène. Ils forment ainsi une masse sonore imposante et bien travaillée qui remplit la salle dans le Te Deum, intense et bien exécuté, restant ensemble dans leurs phrases.
L’Orchestre National Avignon-Provence transmet pleinement le caractère redoutable du thème de Scarpia (contenant un Accord du Diable). Il accompagne d'une manière générale les chanteurs avec grâce lors des airs les plus célèbres. Cependant, il joue parfois un peu trop fort et couvre la voix de plusieurs chanteurs, surtout les voix graves et Spoletta. Quelques fausses notes ponctuent les souvenirs d’amour de Cavaradossi. La direction de Federico Santi est très énergique, déployant des gestes parfois aériens, parfois très fermes, pour donner surtout des indications claires aux chanteurs (pas tout le temps aux instrumentistes, créant quelques décalages et imprécisions). Le public passe outre ces quelques petits détails et applaudit les grands airs de la partition.
Tosca acculée contre le muret de la terrasse du Castel Sant’Angelo (en l'occurrence, contre l’écran en fond de scène) par les sbires du chef de la police, devient une silhouette immobile. La projection de la ville de Rome derrière elle donne l'impression qu'elle s'envole (plutôt que de tomber). Le rideau tombe et le public se déchaîne, ovationnant les artistes pendant une dizaine de minutes et les faisant revenir plusieurs fois avant la tombée finale du rideau.