Dickinson / Usher au Théâtre Watteau : Debussy’s style
En 2018, la Compagnie Winterreise d’Olivier Dhénin créait au Musée Henner une version nouvelle de La Chute de la maison Usher, opéra inachevé de Debussy basé sur une nouvelle d’Edgar Allan Poe, utilisant des extraits des Préludes pour piano afin de remplacer les passages manquants par des mélodrames au cours desquels les chanteurs déclament le texte sur fond de piano. À l’époque, cet opus était associé à Faust et Hélène de Lili Boulanger, un autre opus rare créé en 1918 (nous y étions).
Désormais en résidence au Théâtre Watteau de Nogent-sur-Marne, la compagnie reprend cet opus (avec Emmanuel Christien au piano et à la direction musicale) en s’appuyant sur le film tourné à l’occasion d’une représentation au cinéma l’Arlequin en 2023 (qui apporte une contextualisation par un va-et-vient entre le passé et le présent). Dans un jeu de transparence avec un rideau de tulle, il donne à voir le film ou ce qui se trouve derrière : un intérieur hanté et sombre, dans lequel la nature semble avoir repris ses droits, montrant la ruine de cette famille vouée à la disparition.
L’œuvre est cette fois associée à Une Lettre pour Emily Dickinson de l'américain Lockrem Johnson, qui introduit la soirée. Cet opus, créé à Seattle en 1951 et narrant un épisode de la vie de la poétesse (1830-1886) qui vécut recluse et dont l’œuvre n’aura pu être éditée qu’à sa mort (malgré la demande faite à sa sœur de brûler l’ensemble de sa production) connait à cette occasion sa création française. Le choix de cette association d’œuvres est astucieux tant la musique de Johnson fait écho à celle de Debussy (ou parfois à Poulenc) dans sa poésie et sa prosodie. Il bénéficie d’une scénographie simple mais sensible et efficace montrant tour à tour l’intérieur de sa maison puis son jardin. Trois musiciens se joignent au pianiste pour cette première partie de soirée : Corentin Garac à la flûte traversière, Clara Froger au violon et Pierre-Pascal Jean à l’alto.
Anne-Marine Suire en Emily Dickinson puis Lady Madeline offre une belle diction, ce qui est primordial dans ces deux opus donnés en français, mais sans surtitrage. Sa voix aux aigus ciselés se fait douce et son vibrato léger, très en phase avec la candeur juvénile qu’elle dégage.
Le baryton Alexandre Artemenko (Mr. Dickinson puis Roderick Usher) intériorise d’abord son émission, puisée depuis les profondeurs de l’instrument, avant de la libérer bien davantage dans le second opus. Lui qui devait s’aider de sa partition lors de la création, tient cette fois la durée et ses longs monologues sans fléchir, avec une scansion soignée et des graves sourds.
Olivier Gourdy en Colonel Higginson puis en Ami dépeint des personnages réservés, mystérieux, pensifs. Si sa voix semblait claire dans le rôle de Sarastro dans la récente version pour enfants de la Flûte au TCE, elle montre de belles teintes sombres dans ces rôles et s’unit à merveille à celle d’Anne-Marine Suire dans le duo de la lettre du premier opus. Lui aussi rend au texte toute sa clarté, semblant déguster chaque sonorité de chaque syllabe dans un chant imprégné de sens.
Dans le premier opus, Alexia Macbeth prête sa voix suave aux graves résonnants à Lavinia Dickinson, la sœur d’Emily, qui protège cette dernière ainsi que ses écrits : son caractère affirmé se retrouve dans l’émission dynamique de la chanteuse.
Dans le second, Bastien Rimondi incarne un inquiétant Médecin à la voix de marbre, froide et dure, à la couverture appuyée et au vibrato pressé. Il peut s’appuyer sur une émission vigoureuse et une diction soignée.
À la fin de chaque ouvrage, le public remercie les artistes pour la sobre élégance de leur travail.