Chant de l’amour et de la mort en Avignon
Le B’Rock Orchestra et le ténor Julian Prégardien se présentent à la Collégiale Saint-Didier, en plein centre d’Avignon, et comme indiqué dans le titre du concert, le programme tourne autour de l’amour et de la mort. Les morceaux et les textes allemands notamment, mais aussi en italien et en anglais, forment comme un miroir musical : appariant des œuvres provenant de différentes époques avec de la musique baroque. Ainsi, dans ces expressions de désamour et d’amour jusqu’à la mort, passent d’élégantes transitions musicales de Mahler à Bach, puis de Beethoven et Johann Erasmus Kindermann, Mendelssohn et Dowland (la première partie finit avec Flow my tears, “ayre”, plein de dissonances et de frottements). Après l’entracte, vient un focus sur La Mélodie de l'amour et de la mort du cornette Christoph Rilke (de Rainer Maria Rilke) ayant inspiré les compositeurs Casimir von Pászthory et Douglas Lilburn. Le reste du programme est consacré à Monteverdi (avec le combat amoureux à mort de Tancrède et Clorinde), et pour finir "Ich fahr dahin" de Brahms, un Lied parlant du départ d’un amant.
Le ténor allemand Julian Prégardien est la vedette de la soirée. Présent pendant la quasi-totalité du concert, sa présence est imposante et très assurée. Il chante ses Lieder par cœur, se montrant très investi et expressif : amoureux ou mélancolique, selon les exigences de chaque morceau. Il lit et récite également quelques textes sur sa tablette (des passages d'œuvres théâtrales : les récitatifs de la cantate de Bach, et les textes parlés du Pászthory et du Monteverdi), ce qui lui enlève beaucoup de l’expressivité corporelle montrée lors des passages récités ou chantés par cœur. Son expressivité vocale reste toutefois impassible : spécialiste des Lieder, son texte est rendu avec une absolue clarté, des voyelles rondes et des consonnes bien marquées. Sa voix est claire et large, bien projetée et joliment vibrée mais elle se perd aussi un peu dans le piano et l’importante réverbération de l’église par moments. Le début du concert est ainsi plus confus et moins porteur que la cantate de Bach, très précise et bien nuancée, avec une ligne musicale très élégante.
Trois solistes viennent former à ses côtés un ensemble homogène, dans la cohésion de justes harmonies et d’une diction très claire. La soprano Johanna Ihrig présente une voix claire et ronde, très reconnaissable dans ses passages aigus et accentués, mais qui se perd un peu dans cette acoustique sur les médiums et les graves. La voix d’alto est confiée à Rosina Fabius. Son chant reste bien lié et chaleureux mais il est parfois tellement piano qu’il en devient peu audible à mesure de l’éloignement du public. La voix grave de l’ensemble est confiée à un baryton, ce qui n’est pas si rare dans le baroque. Konstantin Paganetti fait pourtant -parfois- entendre ses graves, mais ses médiums et aigus font plutôt penser à un timbre de ténor. Sa voix est de fait très reconnaissable mais se marie toutefois très bien avec les timbres de ses collègues dans les ensembles. Il sait en outre garder un œil sur sa partition tout en conservant le contact avec le public et son solo Monteverdien est très énergique et investi.
Andreas Küppers montre la gamme de sa formation, au piano et aux instruments à clavier historiques, jouant du piano, de l’orgue, du clavecin en assurant une direction très expressive. Toujours attentif à l’orchestre et aux chanteurs, il demeure sensible dans son jeu. Fondé en 2005 à Gand, le B’Rock Orchestra suit attentivement les indications du chef et soutient les chanteurs avec virtuosité, produisant un son très homogène qui, aidé par la résonance, remplit la nef de l’église avec facilité.
Les artistes offrent ainsi au public ravi un spectacle débordant de virtuosité et de chaleur, musicale. Tant mieux et pour cause, dans cette église non chauffée et même en Avignon, les températures n’incitent pas à enlever écharpes et manteaux dans l’assistance (pendant un concert de près de deux heures). Les saluts donnent ainsi aux spectateurs l'occasion d’exprimer leur enthousiasme en s’échauffant les mains (et même les pieds battants le sol). Ils en sont remerciés avec en bis la Passacaglia della vita de Stefano Landi.