Élégante renaissance de l’Atalia de Gasparini au Château de Versailles
Gasparini, compositeur et professeur de musique (il eut pour élèves notamment Domenico Scarlatti et Benedetto Marcello), fut directeur du Pio Ospedale della Pietà à Venise, où officia Vivaldi quelques années plus tard, ainsi que Maître de Chapelle à Saint-Jean de Latran à Rome.
Le succès d’Athalie, la tragédie de Racine, créée à Saint-Cyr en 1691, eut un retentissement certain dans tous les cercles littéraires, non seulement de France mais dans toute l’Europe. C’est pourquoi Gasparini entreprit à peine un an plus tard de s’atteler à l’adaptation musicale du chef d’œuvre en alexandrins, en remodelant l’écriture, en italien et en vers rimés, et en recentrant l’action autour de quatre personnages principaux.
La création de l’oratorio Atalia en Italie eut lieu au Collège Clementino de Rome. "Premier oratorio en italien écrit à partir d’une œuvre française", il s’agit pour cela, et pour l’élégance de sa facture musicale, variée et inspirée, d’un jalon important de l’histoire de la musique.
À la tête de ce projet ambitieux, Emmanuel Resche-Caserta, premier violon des Arts Florissants mais ici à la tête de l’Ensemble Hemiolia, fondé par Claire Lamquet et dont il assure la direction des projets en grand effectif. C’est lui qui a travaillé directement sur le manuscrit retrouvé à Dresde, traduit le livret en français et supervisé l’édition moderne ainsi que le projet d’enregistrement du CD dont ce concert est l’aboutissement et l’évènement de clôture. Il a aussi opéré des choix précis quant à l’effectif instrumental, avec quatre premiers et quatre seconds violons, ainsi qu’un effectif instrumental baroque "classique" avec violoncelles, contrebasses, théorbes et clavecins, orgue, harpe et trompettes.
L’écriture de Gasparini est à un point de jonction entre deux époques, l’héritage de Monteverdi et de Cavalli d’un côté avec des ritournelles et du récitatif accompagné, mais aussi le développement des grandes arias et de la ligne vocale belcantiste de l’autre qui annoncent Vivaldi et Haendel.
L’Ensemble Hemiolia, qu’Emmanuel Resche-Caserta dirige de son poste de premier violon comme sans doute Gasparini l’a fait lui-même, répond aux inflexions du directeur musical avec dextérité et précision, laissant s’exprimer les épanchements langoureux des cordes jusqu’à des ralentis audacieux et de belles envolées lyriques notamment pour le resplendissant chœur final. La belle inventivité du continuo avec les deux clavecins, de Diego Fernandez et Gabrielle Resche, est également notée, ainsi que l’orgue de Denis Comtet, toujours attentifs au phrasé des chanteurs et à l’expressivité vocale.
Virginie Thomas défend avec fougue et justesse ses interventions d’un soprano concentré à l’impact efficace.
Furio Zanasi, malgré la beauté du timbre et l’égalité irréprochable des registres, semble comme en retrait dans l’acoustique pourtant favorable de la salle, et comme absent de son personnage, privant le Sacerdote (prêtre) de la véhémence de ses imprécations ou de la solennité de ses prières.
Bastien Rimondi se glisse avec aisance dans le personnage complexe d’Ormano, offrant de la couleur ensoleillée de sa voix de ténor lyrique une belle maîtrise dans les vocalises, un focus très précis, avec l'intelligibilité du texte.
La Nutrice (nourrice) de Mélodie Ruvio séduit l'auditoire par la chaleur de son timbre et la rondeur de son médium, mais surtout par le déploiement de ses phrasés, ou encore par le mordant et la conviction dramatique qu’elle délivre dans les passages les plus vifs.
Enfin, Camille Poul incarne pleinement et absolument Atalia, tant par la maîtrise de la tessiture, la souplesse dans tous les registres, l’assurance et la projection de ses aigus, la beauté du médium et surtout la théâtralité sans faille de ses nombreuses interventions, variant à loisir les facettes du personnage, à la foi tyran sanguinaire, folle paranoïaque et Reine ivre de pouvoir, allant jusqu’à des accents de tendresse pour Ormano ou des éclairs de rage à l’encontre du Grand Prêtre qui font frissonner l’auditoire, lequel applaudit sans bouder son plaisir à la dernière note du choeur final pour cette (re)création originale et audacieuse.