Tempête Nocturne à la Cité de la Musique
Le spectacle Nocturne confirme que le fait d’assister à un concert de l’Ensemble La Tempête est une expérience sensorielle originale. Échappant au cadre conventionnel des concerts et, inspiré par les offices religieux orthodoxes, il immerge le public dans un rituel liturgique réinventé. Ce projet a cappella est porté par le chef Simon-Pierre Bestion qui aime à créer des ponts entre les styles et les époques différentes, et ce soir entre les Vêpres de Rachmaninoff et des hymnes byzantins.
Le public est convié autour d’un praticable (le caractère modulable de la salle de la Cité de la Musique permet cette spatialisation), autel central depuis lequel le chef dirige et qui devient également centre de symétrie des déambulations des chanteurs.
La première surprise est sonore car les chanteurs interviennent de tous les coins de la salle. Tous les numéros sont interprétés dans des agencements différents, du balcon, au parterre, en groupe ou disséminé, en procession ou statique et toujours dans un déroulement fluide. Le public vit une expérience sonore intense en découvrant les individualités vocales lors du passage des choristes près de lui, tout en profitant de la cohésion sonore du groupe. De leur provenance, les voix semblent converger dans des harmoniques communs vers une voute imaginaire, faisant sonner la polyphonie « comme une sorte de gigantesque orgue humain » (Simon-Pierre Bestion).
Les chanteurs, riches d’une technicité solide, trouvent la place juste dans les ensembles et révèlent en même temps des personnalités vocales authentiques comme le démontrent l’alto Mathilde Gatouillat et le ténor Edouard Monjanel assurant les solos dans les Vêpres. La première se distingue par un engagement touchant et une voix chaude empruntant à une tessiture presque masculine, exclusivement en registre de poitrine, et le second irradie de sa voix lumineuse à la projection assurée.
Les nombreux hymnes byzantins (de par leur nombre, le temps des Vêpres est quasiment doublé) sont interprétés par Adrian Sîrbu, dont la voix de ténor chatoyante se focalise et délivre les textes dans une ferveur contenue. Il anime le cérémonial soutenu par les notes tenues du chœur qui entre parfois en interaction avec la psalmodie dans des jeux de réponses.
Pour que l’immersion soit totale, la création lumière de Marianne Pelcerf transporte l’auditoire dans l’univers des lieux de prière. Les Vêpres étant un office nocturne (d'où "vespéral"), tout commence dans l’obscurité qui se dissipe au fur à mesure que les lampes accrochées aux pupitres des chanteurs s’allument, devenant alors une constellation mouvante au gré des déambulations. Des faisceaux lumineux sculptent l’espace et, dans une mobilité constante, laissent imaginer comme s'ils les dessinaient, tantôt des vitraux tantôt une coupole. La lumière et les voix entrent alors en résonance et les Alliluja débordant d’harmoniques chatoyants s’attirent avec les vibrations lumineuses du dispositif.
Le public ovationne debout les artistes, et après la reprise de la louange à la vierge (Bogorodice Djevo), le spectacle s’achève sur un dernier Hymne. La lumière aura lui dans ce Nocturne … et le public l’aura reçue.