Le Requiem de Mozart selon Bartabas à La Seine Musicale
Dans la mythologie grecque, les chevaux sont des animaux psychopompes : ce sont eux qui conduisent les âmes des défunts vers l’au-delà. Nul doute que, fort de cette réflexion, l’écuyer et scénographe Bartabas a senti, dans la puissance sacrée émanant du Requiem de Mozart, un chemin artistique à explorer pour créer un spectacle mêlant grand répertoire et chorégraphies équestres.
Sur scène, 8 écuyères, Bartabas, 13 chevaux Lusitaniens au pelage crème, tous membres de l'Académie Équestre de Versailles. Au sol, de la pouzzolane, un sable noir volcanique, doux pour les sabots des chevaux et raccord avec l’effet « boîte noire » demandé par la mise en scène. À l’intérieur de cette boîte noire, des lumières de Bertrand Couderc habilement dosées, toujours dans des tonalités sombres et sobres, sans froideur, avec de jolis effets de ronds au sol.
Les tableaux proposent ainsi des processions portant des corps de femmes qui peu à peu s’éveillent à la vie, avant, dans le dernier tableau, que les corps ne se replient. Les différents pas se succèdent, au rythme de la musique : lents, chassés, trots ou galops, ils sont tous impeccablement exécutés, dénotant un dressage fin et une grande écoute. Les tableaux très précisément composés dessinent des lignes dignes d'un ballet. Les chevaux évoluent ainsi en symbiose rythmique avec la musique, semblent téléguidés par elle : cette symbiose est presque constante et s'impose dès le début du spectacle dans ce principe de l’écuyère-centaure.
Le spectacle commence en effet, dans une atmosphère très sombre, avec une femme écuyère qui s’avance, sans rênes, ne guidant son cheval, tel un centaure, qu’avec le bas de son corps, pendant que s’élève une stance grégorienne (mélodie d'inspiration monacale) chantée a cappella par un ténor du chœur, en sous-bas de la scène. Si la voix est un peu faible pour tenir les aigus -peut-être un effet du trac-, la solennité de l’instant est bien présente. Le Requiem est ainsi préludé par ces stances, alternant avec le Miserere (écrit par Mozart à 14 ans), pendant que l’écuyère et son cheval évoluent sur scène, elle dans une chorégraphie impliquant des jeux de bras en élévation vers le ciel, et lui dans des enchaînements de lignes et de cercles lentement déployés.
Si ce spectacle avait été créé en 2017 avec l’orchestre des Musiciens du Louvre et leur chef, Marc Minkowski, c’est une version musicale plus sobre qui est proposée pour cette reprise à La Seine Musicale : celle pour piano à 4 mains de Carl Czerny, ici interprétée par David Selig et Caroline Marty, avec le renfort de Rodolphe Thery aux timbales. Ce parti-pris musical est assez radical : oubliés les instruments d’époque et la dentelle sonore. Place à l’efficacité, avec une sonorisation sans subtilité, qui prive le résultat de sa finesse et de son expressivité. L’effet anachronique du piano à 4 mains demeure, et les différents pupitres (60 membres) du Chœur de Radio France semblent vouloir rivaliser en volume avec l'amplification.
Dans ces conditions peu confortables, la soprano Marie Perbost parvient pourtant à maintenir la puissance juteuse de sa voix, bien ajustée et se jouant intelligemment du micro. Son timbre est confiant, rempli et sa diction semble naturelle. La mezzo-soprano Aliénor Feix est moins à l’aise, sa voix étant en-deçà et ne parvenant pas à s’adapter à la sonorisation, même si la ligne musicale est assez délicate. Elle semble ne pas avoir résolu le dilemme de réussir à installer une présence vocale sans risquer la saturation du micro. Le ténor Grégoire Mour paraît pour sa part comme empêtré dans les fils des microphones. Son latin est mal maîtrisé, sa diction balbutiante et son souffle court. Enfin, le baryton Edwin Fardini, en s’appuyant sur son timbre et son coffre solides, parvient à peu près à donner une idée de ce que sa partie pourrait être, dans des conditions musicales normales. Sa musicalité est en place.
Si la gestique athlétique et articulée de la cheffe Lucie Leguay est utile pour maîtriser l’ensemble des forces en présence, elle manque toutefois de relief et de musicalité, un effacement de la richesse mozartienne sans doute au profit d’un résultat plus clair et droit, nécessaire pour permettre aux chevaux d’être synchronisés sur la musique.
Pour le Confutatis, quelques enfants maîtrisiens chantent sur scène, répartis en un damier à l'intérieur duquel évoluent les chevaux, créant un instant de grande émotion. La traversée, également, du plateau par un cheval seul, en ligne droite et durant un moment de silence, installe indéniablement un temps suspendu.
12 jeunes cavalières, immobiles sur leurs montures, referment ce spectacle en chantant elles aussi (l’Ave verum corpus : Mozart toujours). Leurs voix en deux pupitres, a cappella, sont un peu blanches et hésitantes mais l'instant demeure touchant.
Après quelques secondes d’un silence respectueux, le public, qui ne s’était pas privé d’applaudir entre les morceaux, manifeste son bonheur d’avoir assisté à ce spectacle, pendant que les quatre solistes, la cheffe Lucie Leguay, la cheffe de chœur Marie-Noëlle Maerten et Bartabas viennent sur scène saluer. Marie Perbost, habilement, s’avance pieds nus : bien plus pratique pour éviter de ruiner ses chaussures de concert dans un mélange de poudre volcanique généreusement imbibée d’eau… et de crottin !