The Fairy Queen par Les Arts Florissants : coulisses d’une production qui fera date
Opéra dansé ou ballet chanté ?
« Tous les deux ans, nous devons choisir une œuvre pour Le Jardin des Voix, explique William Christie, fondateur des Arts Florissants. Historiquement, nous faisions des récitals avec des panachés d’œuvres. La décision a été prise il y a quelques temps de faire des opéras entiers, comme nous l’avons fait avec Partenope et La Fausse Jardinière. Le Jardin des Voix nous permet d’embaucher sept ou huit chanteurs qui peuvent constituer une distribution d’opéra : il serait dommage de ne pas en profiter ». Dès lors, The Fairy Queen s’est vite imposé : « Purcell est un compositeur avec lequel nous avons une longue association. Les coupures et l’architecture de la partition de cette production sont celles que nous avions choisies dans notre production de 1989 à Aix-en-Provence ». Une production qui, déjà, avait fait date.
D’emblée, Paul Agnew, co-directeur des Arts Florissants, explique avoir voulu créer une version dansée du chef-d’œuvre de Purcell : « The Fairy Queen est intimement lié au Songe d’une nuit d’été de Shakespeare. Mais nous avons décidé, assez tôt, d’écarter la pièce de théâtre et de transformer la musique en ballet car l’œuvre est dansante : nous avons simplement coupé un petit peu de musique pour garder un spectacle qui ne soit pas trop long, afin d’avoir un impact direct. J’ai déjà fait The Fairy Queen en tant que chanteur dans sa version avec théâtre mais la musique n’est alors pas mise en valeur comme elle le mériterait. ».
Mourad Merzouki : du hip hop au baroque
Ces décisions prises, il a fallu trouver un chorégraphe pour les mettre en œuvre. Une étape qui date déjà de trois ans : « William et Paul sont venus me voir au moment de la création de Zéphyr pour le Vendée Globe 2020 », se souvient Mourad Merzouki. « Nous cherchions quelqu’un avec de nouvelles idées, mais un grand respect pour ce que nous faisons », explique quant à lui William Christie. Paul Agnew complète : « Mourad Merzouki avait fait un spectacle, Folia, avec des musiciens baroques. Nous savions qu’il avait déjà eu un contact avec cette musique et qu’il l’avait aimée. Nous apprécions beaucoup son univers chorégraphique. Nous lui avons donc proposé ce projet ».
Le principal intéressé décrit ainsi le parcours qui l’a amené à cette production : « Je n’ai pas été bercé dans la musique baroque, ni même classique. Je n’ai pas fait d’école de danse ni de conservatoire. J’ai commencé par les arts martiaux, puis le cirque et enfin le hip hop. J’ai découvert la musique classique en 2010 pour un premier projet, Boxe Boxe, avec un quatuor à cordes, le Quatuor Debussy. C’était passionnant car c’était la première fois que j’avais des musiciens en chair et en os qui jouaient à côté de moi. J’ai eu envie de continuer à travailler avec cette musique, car c’est une prise de risque pour le hip hop. C’est aussi une manière de sortir de ma zone de confort : le hip hop se travaille sur des rythmes binaires, nous avons donc une méthode d’écriture qui peut nous emprisonner. De prime abord, la musique classique me semblait décousue. Je n’arrivais pas à compter. Mais cela a apporté d’autres rythmes dans mes chorégraphies. J’ai ensuite fait un autre spectacle dans la musique baroque, Folia, avec Le Concert de l’Hostel Dieu. Je suis depuis énormément sollicité par le monde classique baroque ».
Improvisation
L’aspect extrêmement abouti de la création de la production ne laisse nullement présager de son mode de fabrication, comme nous le confie Paul Agnew : « Lorsque Mourad Merzouki est arrivé, il n’avait pas d’idée arrêtée. Il souhaitait construire son spectacle en parlant avec moi, avec les chanteurs et les danseurs pour trouver la justesse. Son parti-pris était d’arriver sans connaître ni la musique ni le texte. C’est donc une vraie création, très riche. Cela n’est possible qu’avec quelqu’un dont les instincts sont très justes, et qui travaille très vite. Car nous n’avons pas eu un long temps de répétition. Pour moi, cela a été stressant jusqu’à la première demi-heure de répétition. Après quoi, je savais que le résultat serait bon. Désormais, la chorégraphie est fixe. Il n’y a plus d’improvisation : tout est dans le corps des danseurs ». « C’est en arrivant ici que je me suis pleinement immergé dans cette musique », confirme Mourad Merzouki, qui poursuit : « Cette production a été un défi car nous avons eu moins de 14 jours de répétition pour monter le spectacle. Il ne faut pas réfléchir : il faut laisser parler son inspiration. Une création est d’abord l’alchimie d’une équipe artistique. Il y a eu cette alchimie entre les chanteurs et les danseurs. Ces danseurs ont été recrutés spécialement pour ce projet. C’est donc la première fois que je travaillais avec eux. J’ai fait le choix de travailler avec des artistes ayant des parcours et des méthodes de travail totalement différents : il faut arriver à tisser un lien entre ces personnalités, ce qui est passionnant ».
Dès lors, c’est un processus de création inhabituel à l’opéra qui se met en œuvre : « Il y a beaucoup à apprendre des danseurs, explique le baryton-basse Benjamin Schilperoort. Ils ont un mode de travail très différent du nôtre. Ils improvisent beaucoup. Une grande partie de la chorégraphie provient des danseurs eux-mêmes. Or, ils ont chacun leur style : certains viennent de la danse contemporaine, tandis que les deux danseurs de la Juilliard School sont des danseurs classiques. Du coup, leur capacité à faire des propositions qui viennent construire le spectacle est impressionnante. Nous chanteurs, nous savons une semaine avant la première à quoi le spectacle va ressembler : tout est calé. Là, nous continuions de changer des choses l’après-midi même. Nous avons réussi à nous adapter à ce fonctionnement. De même, les danseurs retiennent les pas très rapidement, alors que cela nous prend beaucoup plus de temps ». Sa collègue et autre révélation de la production, la mezzo-soprano Georgia Burashko, confirme : « Le travail de répétition était intense. Au début, je n’arrivais pas à mémoriser la chorégraphie. Mais les danseurs ont constamment une énergie positive, ils s’encouragent, et nous encouragent, en permanence. Nous, chanteurs, arrivons sur nos projets très préparés, en connaissant notre rôle et en ayant fait des recherches. Les danseurs arrivent le premier jour des répétitions sans aucun élément ».
Jardin des Voix
Ces deux chanteurs, comme les autres membres de la distribution, ont été choisis pour intégrer Le Jardin des Voix, l’académie des Arts Florissants : « Nous ne choisissons pas forcément les voix les mieux formées et les plus mûres, tranche William Christie. Nous avons sélectionné huit chanteurs parmi 200 candidatures. Le premier critère est l’effet immédiat que le chanteur procure, le contact initial avec la voix et la personne, son charisme. Bien sûr, cela doit s’accompagner d’une formation très complète : il est évident que nous mettons la barre très haut, mais il n’est pas suffisant d’être compétent sur le plan technique. Nous prenons parfois des voix qui ont très peu d’expérience dans le baroque ». Paul Agnew complète : « La danse n’a pas été un critère de choix des artistes du Jardin des Voix, même si nous savions déjà que Mourad Merzouki chorégraphierait le spectacle. Nous croyons à la capacité de chacun à danser. Nous ne voulions pas des chanteurs moyens qui dansent bien, mais les meilleurs chanteurs, que nous faisons danser ». William Christie apporte un éclairage complémentaire : « Avoir des connaissances dans d’autres disciplines est fondamental, surtout si l’on travaille des musiques du passé, afin de produire une musique vivante. Peut-on travailler un art baroque, qui est hautement visuel, sans connaître Le Bernin ? Sans connaître la mythologie classique ? En ayant une ignorance totale de la Bible ? Il est difficile de travailler l’immense corpus de musique sacrée sans savoir ce qu’est une Litanie à la Vierge ou une Passion. Il n’est pas nécessaire d’avoir déjà bien digéré tout cela pour faire carrière, mais ça aide ».
De leur côté, les chanteurs étaient très enthousiastes à l’idée de rejoindre cette académie, comme l’explique Georgia Burashko : « J’ai chanté beaucoup de musique ancienne et j’ai depuis longtemps une grande admiration pour Les Arts Florissants. C’était un rêve de chanter avec eux. Je me serais portée candidate quel que soit l’opéra joué, ou presque, mais j’ai été très heureuse que ce soit The Fairy Queen. Il est parfois très dur de travailler seul dans son coin pour continuer à progresser : Le Jardin des Voix est un endroit idéal, qui va nous permettre de continuer à grandir pendant deux ans. Par ailleurs, l’orchestre des Arts Florissants apporte beaucoup de confiance : dans mon air, les possibilités d’ornementations sont nombreuses et le continuo est différent chaque soir. Pourtant, je me sens en sécurité ». Benjamin Schilperoort se réjouissait tout autant : « Pour un jeune chanteur qui veut faire de la musique baroque, Le Jardin des Voix est l’endroit idéal. Il n’y a pas d’équivalent. J’ai aussi été attiré par le projet de cette production : j’ai su par instinct que ce projet ferait tomber des barrières et me permettrait d’aborder mon travail d’une nouvelle manière, excitante. Il y a quelque chose de très spécial chez Les Arts Florissants : certains musiciens sont là depuis les débuts il y a quarante ans. Ils forment une famille. D’ailleurs, lorsqu’un musicien parle d’une production passée, il dit “nous avons joué”, même s’il n’était pas lui-même dans l’orchestre à l’époque. Ce sens du collectif est extraordinaire. Nous pouvons expérimenter en sachant qu’ils seront derrière nous. Ils aiment que l’interprétation soit organique, qu’elle soit différente chaque soir. Cela nous permet ainsi d’entrer dans une famille qui valorise le fait de travailler avec des artistes qu’ils connaissent, et de les faire évoluer ».
Cette idée de transmission reste chère au fondateur de ce large projet : « Quand je joue avec de jeunes artistes, je suis en compagnie de talents extraordinaires. Ce ne sont pas des talents de demain, mais déjà des talents actuels. C’est un vrai honneur qu’ils cherchent à travailler avec moi, une immense joie ».
Danser
Ainsi, les danseurs ont dû apprendre une chorégraphie longue et complexe : « J’ai suivi des cours de danse tous les jours lorsque j’étais en école d’art dramatique. Pourtant, travailler ainsi avec nos corps paraissait étrange au début. Mais ça semble tout naturel aujourd’hui. Cela fait même du bien », explique Georgia Burashko. Son collègue Benjamin Schilperoort enchaîne : « J’ai déjà eu l’occasion de danser précédemment, mais rien à cette échelle. Dans une production, il peut arriver qu’on danse sur 5 ou 10 minutes de spectacle. Souvent, les danseurs travaillent dans leur coin, les chanteurs dans le leur. J’ai même vu un metteur en scène quitter la pièce pendant la répétition des danseurs, comme si cela ne le concernait pas. Mais dans ce projet, nous sommes en scène durant deux heures, et la chorégraphie dure tout du long. Même quand on ne danse pas, nous bougeons tout de même. C’est un spectacle très exigeant, mais mon endurance s’est accrue au fil des répétitions ».
Heureusement, Mourad Merzouki a l’habitude de travailler avec des non-danseurs : « Cette volonté de décloisonner est liée à mon histoire personnelle. Je suis né à Lyon mais mes parents sont originaires d’Afrique du Nord. A la fin de mon adolescence, beaucoup de jeunes dans mon cas sont déstabilisés et en défiance contre les institutions. La danse m’a sauvé en me permettant de m’exprimer, de rencontrer des gens, de comprendre ceux qui m’entourent. Cela m’a énormément aidé dans ma vie de citoyen. J’ai l’espoir que ces projets qui cassent les barrières donnent envie de travailler ensemble ». Puis il poursuit : « La musique baroque m’aide à imaginer la chorégraphie : elle est pensée pour la danse. Quand je l’écoute, je ferme les yeux et la chorégraphie se dessine comme un tapis qu’on déroule. Cette fois, comme les chanteurs sont des non-danseurs, il a fallu créer des chorégraphies accessibles techniquement. Ils ont été très généreux et volontaires avec moi ».
Cet espoir s’est réalisé sur cette production, si l’on en croit les deux chanteurs : « Mourad est parfait pour une telle production, se réjouit Benjamin Schilperoort : il est curieux et s’est inspiré des individualités présentes, des parcours de chacun. C’est ainsi qu’il y a de la danse baroque dans la chorégraphie. Ces mélanges créent une sorte d’universalité au spectacle, d’autant que cette diversité se retrouve dans la musique de Purcell qui s’intéressait à différentes musiques : italienne, française, populaire, de cour, d’église, etc. Au début, nous n’étions pas bons du tout sur la danse mais il est toujours resté positif ». Là encore, sa collègue acquiesce : « Travailler avec Mourad Merzouki est palpitant, incroyable. Il est toujours extrêmement calme, même au début où nous n'étions pas très forts. Il est très instinctif, et travaille avec ce que nous sommes, en s’adaptant en permanence. Chaque matin, nous faisions un échauffement hip hop tous ensemble. Au départ, nous ne nous connaissions pas, nous étions un peu timides et un peu moins à l’aise que les danseurs dans les contacts physiques. Finalement, je me suis rarement trouvée dans un environnement aussi joyeux et positif. Cela a créé ce lien très fort entre nous ».
Et Paul Agnew se félicite aussi de ce processus de création : « Mourad vient d’une tradition de breakdance et de hip hop et le fait que nous ayons ajouté aux danseurs de sa compagnie deux danseurs de la Juilliard School, qui viennent du monde classique, cela a eu une grande influence sur le résultat final. En effet, comme souvent avec les chorégraphes, il y a beaucoup d’improvisation au début. Les improvisations de ces deux danseurs ont donc apporté une grande richesse à son univers. Les danseurs classiques se sont donc mis au hip hop et les danseurs hip hop ont repris des pas classiques. De même, les chanteurs dansent, les danseurs chantent et même quelques musiciens sortent de l’orchestre pour se joindre à eux. Ainsi, le violon vient se joindre à la chanteuse, dont elle représente l’âme en exprimant ce que le chant ne peut pas exprimer ».
Double direction
Paul Agnew a dirigé la première du spectacle, mais la longue tournée qui s’annonce sera dirigée en alternance par les deux chefs : « Nous avons toujours partagé la direction musicale du Jardin des Voix avec William Christie, note Paul Agnew. Quand il m’a demandé de diriger pour la première fois, il a fixé comme condition que je n’essaie pas de copier sa direction. Il a voulu dès le départ que je crée ma direction. Ceci étant, un enregistrement de Fairy Queen que j’aime beaucoup et que je connais depuis ma jeunesse, est celui dirigé par William Christie en 1989. Nous prévenons dès le début les chanteurs qu’il y a deux directeurs musicaux et qu’ils risquent donc d’avoir des informations différentes ou complémentaires. Mais cela fait partie du métier de chanteur de travailler avec beaucoup de chefs différents : ils doivent donc savoir s’adapter ». Benjamin Schilperoort ne s’en plaint pas : « Paul Agnew et William Christie ont tellement de respect l’un pour l’autre qu’ils n’ont aucun problème avec le fait qu’ils auront chacun leur vision. C’est très enrichissant pour nous de travailler parallèlement avec ces deux incroyables musiciens ». Georgia Burashko acquiesce : « Nous avons travaillé avec les deux. Il y a des points sur lesquels nous devons nous adapter, mais finalement, ils veulent tous les deux la même chose : que nous puissions donner le meilleur de nous-même. Ils sont tous les deux très encourageants et respectent beaucoup nos spécificités. Car nous avons tous des parcours différents et des personnalités artistiques différentes. Ils sont d’accord sur l’essentiel : que nous interprétions cette musique avec un style français, notamment dans les ornementations, ce qui a beaucoup de sens à mes yeux ».
En effet, la décision a été rapidement prise d’adopter un style français pour cette œuvre britannique. Paul Agnew en explique les raisons : « Charles II a rencontré son cousin Louis XIV à Paris, et l’a vu danser sur la musique de Lully. Cela a eu sur lui un très grand impact. Lorsqu’il est rentré en Angleterre en 1660, l’une des premières choses qu’il a faite est de créer un orchestre, The ‘24 Violins of the King’, un nom copié des ‘24 Violons du Roy’ en France. Les compositeurs de la cour d’Angleterre ont été envoyés en France pour apprendre et s’inspirer de ce qui y était fait, et cela a duré presque jusqu’à Purcell. C’est cette musique que Purcell a entendue pendant toute sa jeunesse, même s’il a bien sûr créé son propre langage. Par ailleurs, le compositeur français Louis Grabu a fait jouer son opéra Albion and Albanius, le premier véritable opéra donné en Angleterre, par ‘The 24 Violins of the King’. Or, c’est un opéra français. Lorsque Purcell leur fait ensuite jouer Fairy Queen, ils n’ont pas changé leur style et jouent donc dans le style français. La preuve, c’est que les hautbois n’existaient pas en Angleterre : ceux qui ont joué Fairy Queen étaient donc des hautboïstes français. Or, les hautbois ne peuvent pas changer de diapason : ils jouaient donc forcément au diapason français. Ainsi, les chanteurs ont une liberté totale en matière d’ornementation, dès lors qu’ils se réfèrent aux traités français. Cette musique ne s’explique pas sans le style français. Surtout, elle sonne mieux ainsi ».
Autre sujet d’attention : l’écoute. Paul Agnew poursuit en effet : « William Christie et moi ne dirigeons pas la basse continue. C’est très important pour nous. Pour être un grand artiste, il faut faire la musique dans l’écoute. Il doit y avoir une discussion musicale entre le chanteur, l’accompagnement et le public. Si on dirige ces moments-là, on casse la pureté de cette relation. Pendant les répétitions, nous discutons de l’interprétation et du tempo. Puis, pendant la représentation, c’est aux musiciens de se suivre : si le chanteur accélère, le continuo suit, et inversement. Cela me fatigue quand des chanteurs font leur musique sans tenir compte de ce que fait l’orchestre. Cela veut dire qu’ils n’ont aucune sensation de ce qu’il se passe autour. Nous ne formons pas les chanteurs ainsi. Pendant ces moments où je ne dirige pas, comme j’aime beaucoup le spectacle, je prends plaisir à le regarder ».
Dramaturgie et scénographie
Si la musique de Purcell a été composée comme des intermèdes musicaux joués au fil de la pièce de Shakespeare, Le Songe d’une nuit d’été, et n’a donc pas de cohérence dramaturgique propre, les interprètes ont créé la leur : « Je me suis construit un déroulé en tenant compte des personnages que j’interprète, raconte Georgia Burashko. Cette exploration de ces différentes facettes de moi-même se construit de plus en plus au fur et à mesure que je joue cette production. Nous sommes présents sur scène tout du long, il faut donc garder en tête l’état d’esprit que l’on doit avoir. Nous invitons le public à une expérience musicale enchantée : cette musique est remplie de joie, d’amour, de lumière et de magie. Les textes sont très beaux. Il y a plusieurs niveaux de lecture ». Mais Benjamin Schilperoort prévient : « Il ne faut pas penser à cette œuvre comme une pièce avec une narration, ni espérer y trouver Le Songe d’une nuit d’été. Cette production est plutôt pensée comme un ballet chanté. Cela ne marcherait pas, si nous gardions une interprétation linéaire du début à la fin, car nous changeons de rôle constamment, même si nous n’avons pas le luxe d’avoir un costume pour le montrer. L’intrigue a une structure qui émerge du texte : nous sommes dans les bois, puis la nuit arrive et ouvre un nouveau chapitre. A la fin, l’hymen montre que le vrai amour existe ».
Pour ce spectacle, le plateau est nu, avec trois chaises jaunes pour seul décor : « Ces trois chaises jaunes sont celles de notre salle de répétition, s’amuse Paul Agnew. Il y en avait aussi des grises, des vertes et des rouges. Nous avons fait des essais sur la scène : par exemple, le gris avec le noir de la scène n’allait pas du tout. Le jaune est une couleur naturelle qui se fondait bien dans le décor des jardins ». Mourad Merzouki confirme : « L’absence de scénographie était dans le cahier des charges de départ, afin de faciliter la tournée. Si j’avais pu, j’aurais aimé mettre un tapis de scène matiéré, j’aurais peut-être travaillé avec un tulle pour créer de la profondeur. Sur la scène du miroir d’eau, les possibilités sont limitées en matière d’éclairage, mais nous avons travaillé avec un créateur lumières pour enrichir cet aspect pour la suite de la tournée. Nous allons pouvoir mieux sculpter la scène, resserrer l’attention sur certaines parties du plateau ».
Tournée
Après sa création au Festival Dans les Jardins de William Christie, cette production de Fairy Queen va s’élancer dans une tournée de deux ans, qui mènera la troupe à travers l’Europe et même jusqu’à Toronto : « Pour l’instant, la tournée se concentre sur des hauts lieux de la musique classique, mais nous aimerions la poursuivre en approchant des lieux de danse, car ce spectacle est en fait un ballet. C’est un objet artistique qui décloisonne », espère Paul Agnew.
Benjamin Schilperoort s’y projette déjà : « Je suis impatient de voir comment le spectacle va s’adapter aux différents lieux et évoluer au fur et à mesure que nous allons nous connaître de mieux en mieux : nous nous sommes en effet rencontrés il y a seulement trois semaines. Ce spectacle va nous être de plus en plus familier. Nous allons faire d’autres projets en parallèle de la tournée : il sera intéressant d’y revenir enrichis de ces expériences nouvelles. Revenir ainsi régulièrement à une production et retrouver des collègues est assez rare à l’opéra. Le fait de jouer dans des salles différentes va nous obliger à adapter les tempi et les dynamiques. Cela s’annonce très excitant ». Et Georgia Burashko poursuit : « Aujourd’hui, nous avons vraiment construit un esprit de troupe. L’orchestre est fabuleux : on ne pourrait rêver mieux pour faire cette tournée. Nous allons donc débuter dans des lieux prestigieux en se sentant entourés et soutenus ».
Quant à la suite, elle s’annonce encore bouillonnante. En tout cas, William Christie n’a pas l’intention de s’arrêter : « J’ai un immense plaisir dans ce que je fais. J’aime même la concurrence. Et le fait que beaucoup de dirigeants d’ensembles français aient commencé aux Arts Florissants rend même cela encore plus piquant. Que des artistes créent leur propre histoire, c’est bien. C’est même le but ». De la transmission à l’émancipation, la boucle est bouclée.