Titon et l’Aurore de Mondonville retrouve son public à Thiré
En sa qualité de chantre du baroque français, il n’est guère étonnant que William Christie ait pour Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville, égérie du camp français durant la querelle des bouffons, une affection particulière, justifiant de reprendre cette production mise en scène par Basil Twist.
La transposition de la place Boieldieu à la campagne vendéenne implique toutefois deux changements majeurs : la suppression des décors -seuls demeurent les costumes, marionnettes et accessoires, la beauté de la perspective des jardins compensant toutefois largement cette perte- et la sonorisation de l’orchestre -cette dernière, essentiellement utile aux spectateurs latéraux, fait la part belle au clavecin même si l’équilibre global demeure toutefois tout à fait cohérent.
Le Titon de Reinoud Van Mechelen impressionne par ses projections et sa puissance remarquables pour un haute-contre. Le vibrato est ample, la musicalité fort bonne tout au long de la soirée et l’articulation très claire. La rondeur du timbre, couplée aux harmoniques aigus constants lui confère une longueur de phrasé semblant naturelle et impressionne dès son arrivée sur le plateau. La mise en place rythmique ne faiblira à aucun moment de la soirée et les lignes de son chant demeurent constantes de tenue, de cohérence et d’homogénéité.
Pour lui répondre, l’Aurore de la soprano Gwendoline Blondeel n’apparait ironiquement qu’une fois le soleil couché à Thiré. La légèreté de sa tessiture ainsi que la rondeur du timbre lui confèrent des aigus suaves. Loin du parti-pris d’une trop sage musicalité constante, et conformément aux traités de chants français contemporains à Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville, elle n’hésite pas à choisir, durant les parties récréatives de ses dialogues, l’intensité dramatique plutôt que l’orthodoxie rythmique (voire la musicalité). Le vibrato, maitrisé, demeure toujours savamment dosé, la synchronisation impeccable dans les duos et la technique est naturelle, nonobstant de très légers retards sur quelques vocalises.
La matinée précédant cette représentation, lors de l’inauguration du nouveau bâtiment rénové à Thiré par la fondation des Arts Florissants, Marc Mauillon chantait Zefiro Torna de Monteverdi. Il n’est donc guère étonnant de le retrouver sur scène le soir dans le rôle d’Éole.
La projection -à l’exception des graves durant le deuxième acte, sensiblement en deçà- et les harmoniques aigus dans le premier acte sont tels qu'il donne l’impression de se situer trois mètres plus près qu’il ne l’est réellement. Derrière ses allures de Charlton Heston dans Les Dix Commandements, la virtuosité technique dans les parties vocalisantes du rôle ainsi que l’excellence de l’articulation et la clarté des voyelles sont également remarquées.
En Palès, Emmanuelle de Negri campe, malgré un timbre rond et une tessiture dramatique sertis de bonnes longueurs de phrasé et musicalité, une amoureuse gauche et dépitée très amusante grâce à son investissement dramatique et à sa finesse d’interprétation. Les lignes de chant sont constamment tenues et l’articulation excellente, si ce n’est impeccable durant le second acte.
Dans le rôle d’Amour, Julie Roset se distingue elle par la légèreté de sa tessiture, la brillance de son timbre ainsi que des attaques profondément baroques. La projection est parfois légèrement trop ténue mais cette légère réserve est compensée par la technique naturelle, assortie à la clarté des voyelles et à une très bonne longueur de phrasé.
Le Prométhée de Renato Dolcini présent exclusivement durant le prologue, fait état d’une tessiture dramatique, d’une qualité d'articulation et d'harmoniques aigus. Les voyelles sont claires, la longueur de souffle bonne et les récitatifs déploient leur intensité. La technique de sa tessiture intermédiaire de baryton est agile.
Enfin, les nymphes de Virginie Thomas, Maud Gnidzaz et Juliette Perret offrent un ensemble cohérent et équilibré, grâce à une synchronisation remarquée et de bonnes similarités de complémentarités dans leurs caractéristiques vocales respectives.
Une majorité des figures anciennes et plus récentes des Arts Florissants sont réunies ce soir. Sous la direction de William Christie, la phalange déploie dès l’ouverture des trésors de précision et de relief. La gestuelle du chef est précise, parfois même quasi féline durant l’ouverture, et l’orchestre est au rendez-vous -l’engagement physique des cordes dans leur(s) ensemble(s) est fort appréciable-, faisant même état d’une cohésion intra pupitre particulièrement remarquable. La deuxième partie, à partir de 21h10, voit l’humidité monter en flèche et la température descendre de cinq degrés (conditions redoutables, a fortiori pour le jeu sur instruments d’époque), mais l’expérience permet aux musiciens d’éviter cet écueil sans coup férir.
Les chœurs quant à eux, à l’exception d’un passage des pupitres masculins en effectifs réduits (neuf chanteurs, pénalisés par une mise en scène leur imposant de secouer en continu des voiles), allient souplesse et précision, y compris dans les ornements et les canons.
Le public demeure remarquablement concentré durant cette représentation, faisant moins de bruit que les oiseaux et le vent dans les arbres, avant d’offrir de chaleureux applaudissement à l’issue de la représentation. Le festival étant désormais terminé, vient le temps de se demander désormais sur quelles raretés Les Arts Florissants jetteront leurs dévolus l’année prochaine. Ce sera bien entendu à suivre sur nos colonnes.