Le premier Don Giovanni de Sempey encensé à Sanxay
Le jeune chef d'orchestre Marc Leroy-Calatayud revient diriger l'Orchestre et les Chœurs de Sanxay (comme l'année dernière pour Le Barbier de Séville de Rossini). Les premières phrases instrumentales déploient déja une vive énergie grâce à une direction musicale claire et précise. Les phalanges y répondent instantanément, sans le moindre décalage, sonnant justes et équilibrées. Durant la plupart de la soirée la coordination entre la fosse d'orchestre et la scène est complètement maîtrisée et le maestro rectifie immédiatement, sans le moindre stress ni panique, les quelques rares erreurs des solistes. La direction demeure ainsi fluide avec des petits moments de détente exaltante. Le continuo est assuré par le pianiste-chef de chant Félix Ramos dans le même esprit avec de petites improvisations de temps en temps, en lien avec la partition et les protagonistes sur scène. Cette coordination très lisse et souple ne perd jamais ses tempi ni personne.
La vedette du spectacle, le baryton français Florian Sempey qui prend le rôle-titre de Don Giovanni à cette occasion, fait belle figure dans son costume en cuir rouge unicolore, comme une flamme chaude et dangereuse. La voix également est chaleureuse, en pleine forme, nuancée et d'un timbre viril toujours présent même dans ce grand espace en plein-air. L’air du champagne, moment souvent tendu pour certains chanteurs, ainsi que le duo "Là ci darem la mano" lui semblent très faciles, tout comme "Deh, vieni alla finestra" avec l'accompagnement par Alice Montalescot à la mandoline : un moment de grâce, de beauté suspendant le temps dans ce Théâtre Gallo-Romain, avec souplesse sans perdre les pulsations rythmiques. Le public en est visiblement enchanté.

Dans le rôle de Leporello, Adrian Sâmpetrean montre dès ses premières phrases sa belle voix de basse, riche, ample et sans effort. Plus tard dans le célèbre air de Catalogue, il déploie encore davantage sa palette de couleurs, d'interprétation et de phrasés, charmant et conquérant le public pour son début à Sanxay.
Débuts remarqués également pour Klára Kolonits. Dans le rôle de Donna Anna, elle dévoile des aigus faciles, cristallins et rayonnants, mis en valeur par tous ses airs, alors que ses récitatifs, considérablement plus bas, sont un peu sombres.
Pour son début à Sanxay, le ténor Granit Musliu montre d'emblée que son chant est mozartien en Don Ottavio, "tenore di grazia" avec aisance mélismatique, plaçant la beauté de la voix et du phrasé au-dessus de la quête de puissance. Le timbre est naturel, la voix est claire, fraîche et bien vivante, toujours présente quelle que soit la hauteur. Dans les duos avec Donna Anna, leurs voix sont complémentaires et équilibrés.
Retournant à Sanxay pour sa troisième production, Andreea Soare prête d'emblée à Donna Elvira une voix à l’Italienne avec une connexion très lisse (très importante pour ce répertoire et le développement d'une carrière) entre la voix de médium et les graves en voix de poitrine. La ligne est toujours présente avec une articulation de texte précise sans forcer, même pendant les ensembles. Son incarnation développe plusieurs facettes, jamais stéréotypées, d'une femme qui sent et montre toutes ses émotions : haine, jalousie, trahison, désespoir, espoir ainsi qu'amour, rendant son incarnation touchante et humaine.

Charlotte Bonnet chante le rôle de Zerlina, elle aussi avec une voix bien présente dans le style italien et une bonne connexion entre médium et grave. Les théâtres donnent souvent ce rôle à des sopranos légers dans l'esprit d'une jeune fille avec une voix un peu verte, mais Zerlina doit asseoir davantage le grave que les deux autres femmes, surtout dans les ensembles, tout en sachant les rejoindre dans l'aigu. Charlotte Bonnet affirme cette capacité vocale sans forcer, et même avec facilité, naturel.
Mais l'aspect théâtral pourrait dès lors être encore plus approfondi, avec plus de recherches sur le caractère autre que celui de jeune fille (le personnage joue avec l’érotisme).
Adrien Mathonat offre des trésors vocaux au rôle de Masetto, d'une basse riche et sonore, sans aucune difficulté technique ou musicale. Il assume même une interprétation un peu brute du personnage. Il s'impose aussi nettement dans le rôle du Commandeur, même en coulisses.
Par (manque de) contraste avec la richesse vocale de cette distribution, la mise en scène de Jean-Christophe Mast paraît d'autant plus monochrome : avec un seul espace triste et noir durant toute la soirée (certes pour faire ressortir la tache de couleur / de sang qu'est Don Giovanni, mais sans faire vivre ce plateau monotone). D'autres choix posent question ou déception, comme le fait de tirer un rideau pendant le duel entre Don Giovanni et le Commandeur, sans même visibilité à travers (les lumières offrant en outre très peu de différences, même entre jour et nuit, fêtes et défaites).
Donna Elvira est étonnamment habillée comme une sorcière du Magicien d'Oz avec chapeau pointu pendant tout la soirée (pas seulement pour le bal masqué). Un figurant entre pour changer un peu le placement de la table durant la dernière scène, dont le manque de dramatisme pousse Florian Sempey à surjouer et même à changer certains tons pour insuffler davantage de tragique.
Enfin, les chanteurs effectuent leurs saluts durant l'ensemble final, de telle sorte que le public commence à partir alors que la musique n'est pas finie.
Le public très nombreux n'en exprime pas moins et majoritairement qu'il est très content de sa soirée à Sanxay.
