Yara Kasti à Volcadiva, chant libre au pied des volcans
C’est un rendez-vous qui date déjà du siècle dernier, mais qui se fait toujours aussi jeune et attractif pour cette édition 2023 : 25 ans après les débuts de ce qui était alors le Festival des Volcans d’Auvergne. Le programme de Volcadiva offre une série de récitals concoctée notamment par le baryton Bernard Boucheix qui, en cet anniversaire symbolique, a transmis la direction de son festival à la municipalité de sa ville hôte, Chamalières (et à son maire au patronyme fameux, Louis Giscard d'Estaing).
Après Jennifer Michel, Anaïs Constans, Marion Lebègue ou encore Stanislas de Barbeyrac ces dernières années, les artistes invités de cette 26ème édition sont également précédés d’une réputation flatteuse : c’est le cas de Marion Auchère, finaliste du 34e Concours International de chant de Marmande en 2022, de l’Anglaise Caroline MacPhie, notamment entendue dans le Peer Gynt donné à Lyon voici un an, du ténor Sud-Coréen Hun Kim, un habitué des scènes italiennes, ou encore du jeune baryton-basse canadien Dominic Veilleux, qui affiche déjà des rôles tels qu’Escamillo, Don Giovanni ou encore Albert à son répertoire.
Force narrative
Et puis il y a la Franco-Libanaise Yara Kasti, membre de la promotion Génération Opéra 2022 et ancienne élève de la Maîtrise du Conservatoire de Bordeaux, ville où, durant le confinement de 2020, la soprano livrait quotidiennement une performance depuis son balcon (au grand ravissement de ses voisins).
Venue avec la pianiste Lucie Seillet, instrumentiste agile et parfaite complice, la jeune artiste vient décliner un programme aux saveurs diverses scindé en plusieurs temps, dont le premier fait la part belle à la mélodie française. L’occasion de redécouvrir les Six poèmes arabes de Louis Aubert, portés par la pleine force expressive d’une chanteuse n’ayant guère besoin de temps de chauffe pour faire briller le lustre et la puissance de son timbre. Puis, tirant davantage encore vers teintes orientales, résonnent ensuite les poétiques notes de Shéhérazade version Maurice Ravel, où l’artiste déploie une force narrative digne des Mille et une Nuits, alternant entre déclamation parlée et voix chantée. Cette dernière prend une sonorité saisissante lorsqu’il s’agit de décrire des sentiments gagnés par le tourment. Et puisqu’il est question de contes et de fantastique, Yara Kasti aborde ensuite avec un égal bonheur La Cigale et la Fourmi revisitée par Isabelle Aboulker (pour son cycle Femmes en Fables) puis L’Été de Cécile Chaminade, le tout dans un même style narratif marqué par le souci d’une diction tout en intelligibilité sans que la voix n’ait à en perdre de ses atours.
La deuxième partie du concert est consacrée à un répertoire d’opéra toujours largement apprécié par le public local. Lequel, évidemment familier de Carmen, ne manque pas de reconnaître le grand air de Micaëla (« Je dis que rien ne m’épouvante »), avant d’apprécier tout autant le « Dis moi que je suis belle » de la Thaïs de Massenet. Dans les deux cas, la soprano trouve l’occasion de mettre en valeur toute l’expressivité lyrique de son instrument, balayant une large échelle de nuances et de couleurs, ici largement teintées d’une gravité rendue d’autant plus crédible par un total investissement dramatique dans l’incarnation de ces rôles. Mains vers l’avant, regard grave, pleinement imprégnée par son texte, Yara Kasti se fait touchante et révoltée, et voit son legato de soie et ses aigus fort pénétrants récolter de chauds applaudissements.
Des acclamations enthousiastes qui viennent enfin accompagner la troisième et ultime partie du spectacle, cette fois-ci dédiée à la musique de variétés : l’occasion de basculer avec aisance dans l’hommage à Édith Piaf (La Vie en rose), à Michel Legrand (Les Moulins de mon cœur), et même à Fairouz, évidemment (Li Beirut) alliant la fibre patriotique à la carrière résolument prometteuse. Bien évidemment, les saluts du public sont aussi dirigés vers Lucie Seillet, pianiste-accompagnatrice-orchestre, au jeu aussi virtuose que savamment nuancé pour entrer en fusion avec son binôme du soir : une fusion évidemment de bon aloi au pied des volcans.