À la Chapelle royale de Versailles, des Leçons de Ténèbres irradiantes
Les Leçons de Ténèbres de Couperin ont bien des points communs avec les Passions de Bach. Élevées au rang de chef d'œuvre, plusieurs ont disparu mais les subsistantes ont bénéficié d’une multitude d’enregistrements. Leur programmation s’inscrivait dans une logique thématique et durant un rituel de Semaine Sainte, toutefois, à la différence des Passions, les trois Leçons peuvent sembler trop courtes pour constituer un concert à elles seules.
En ouverture de ce concert est donc donné le Cantique Quatrième de Michel-Richard de Lalande : Sur le Bonheur des Justes et le Malheur des Réprouvés. D'abord chanté au niveau supérieur, près de l’orgue de Clicquot, les deux sopranos descendent ensuite pour en interpréter la fin au niveau de l’autel. S’ensuivent les trois Leçons de Couperin. Éclairées à la bougie et au projecteur, ces derniers se font cependant de plus en plus discrets au fil de l'œuvre et La Chapelle n’est à la fin presque éclairée uniquement qu’à la bougie. Les lumières reviennent ensuite pour l’ultime œuvre de la programmation : le Motet pour le Jour de Pâques : Victoria Christo Resugenti !
À l’issue du Cantique chanté conjointement, les deux premières leçons sont interprétées chacune par une soprano différente, l’ultime étant écrite pour deux voix. L’occasion pour le public versaillais de se confronter à deux visions sensiblement différentes de l’interprétation de l'œuvre, toutes deux appréciées.
Ana Vieira Leite, lauréate de l’académie du « Jardin des Voix » des Arts Florissants, offre à la seconde leçon une interprétation axée sur l’intensité dramatique. Lusophone, et formée par William Christie, la prononciation de l’ancien français est impeccable, celle du latin légèrement moins compréhensible. Le timbre est large et chaud, y compris dans les graves. La technique est aisée et les redoutables vocalises de Couperin semblent naturelles, effectuées tout en délicatesse grâce également à une très bonne longueur de souffle. Quant à la projection, elle est bonne sur les voyelles qui demeurent toujours claires. Dès les premières minutes, elle distille ainsi une émotion palpable dans l’auditoire.
Adèle Carlier, passée par Les Cris de Paris et Pygmalion, est davantage axée sur la musicalité et a une prononciation du français ancien légèrement plus moderne. Quittant moins la partition des yeux, elle prête son timbre lyrique au vibrato large et aux aigus puissants et colorés à la première leçon. La technique est d’une agilité remarquée, et la rythmique, même dans les moments les plus ardus, est toujours en place − à l’instar de la longueur de souffle. La projection est très bonne sur la majorité de sa tessiture mais tend à légèrement diminuer dans les graves. Les variations d’intensité sont très réussies et toujours à propos.
Malgré ces légères différences, la synchronisation entre les deux cantatrices est notamment remarquée dans la mise en place rythmique, le niveau de projection et l’utilisation des silences − ce qui confère au tandem de réelles harmonie et cohérence.
L’Orchestre de l’Opéra Royal, sous la direction de Gaétan Jarry, a ce soir avec ses quatre musiciens des allures de commando musical. Alternant entre l’orgue et le clavecin, le chef n’hésite pas à utiliser ses postures et sa respiration pour donner des indications rythmiques à ses partenaires. D'emblée, dans les Leçons de Ténèbres, les tempi sont enlevés sans être extravagants.
À la basse de viole, Natalia Timofeeva distille de discrets mais délicieux soli durant le Cantique et les Leçons tout en assurant son rôle de boussole rythmique. Au théorbe, Léa Masson et Elodie Brzustowski sont dès le cantique dans une écoute générale et mutuelle pour assurer un rendu harmoniquement cohérent. Leurs gestuelles durant la deuxième Leçon semblent par moment dévoiler deux approches légèrement distinctes de leurs instruments, l’une étant davantage focalisée sur la rythmique en appui à la cantatrice quand l’autre, plus baroque, est davantage axée sur la respiration et la musicalité. Les trois musiciennes chanteront même à l’unisson entre la première et la deuxième Leçon ainsi que dans le motet final de Couperin, avant de retourner à leurs instruments.
À l’issue des trois œuvres, Gaétan Jarry prend la parole, non sans humour pour souligner que si le dernier motet est donné quelque jour trop tôt, « cela fait un petit entrainement » en attendant le 9 avril (Jour de Pâques). Il récidive alors en redonnant l’ultime motet, en faisant cette fois-ci chanter au public – manifestement familier de l'œuvre – l’Alleluia en refrain, avant de finalement quitter la chapelle, le sourire aux lèvres.