Vivaldi et Campra dans les Splendeurs Vénitiennes à la Chapelle Royale de Versailles
Le concert réunissait des œuvres du célèbre compositeur vénitien Antonio Vivaldi avec une Messe d'André Campra, un compositeur passionné de Venise. Ces deux créateurs ont toute leur place dans cette magnifique Chapelle Royale du Château de Versailles (réservez ici vos billets pour ce magnifique lieu ainsi que pour la salle de l'Opéra royal) : Vivaldi fut protégé par Louis XV et Campra intégra cette même Chapelle Royale, il y a quatre siècles de cela.
L'orgue ouvre le concert avec un son très ample, qui résonne dans cette belle acoustique. L'instrument rutilant d'or et d'étain offre des interludes de toute beauté, en profitant également pour donner le "la" aux instruments anciens qui ont un besoin fréquent d'accordage. L'orgue vient aussi enrichir le son général de l'orchestre par son timbre, et c'est une louange à faire à l'organiste que de constater combien l'instrument se marie avec les autres pupitres, se faisant presque oublier jusqu'aux résonances finales (précisément sur des points d'orgue). Chacun des musiciens saura d'ailleurs tirer pleinement profit de cette acoustique, à la fois longue et claire. Hervé Niquet, le directeur du Chœur et Orchestre du Concert Spirituel, entre, paré de son habituelle tunique de paillettes étincelantes. Sa direction, solaire, convient parfaitement à cette chapelle que domine précisément le soleil d'or, emblème de Louis XIV. Dès le premier morceau, il dirige avec les bras écartés, ouvrant son plexus afin d'inviter les musiciens à irradier de son.
La sonorité des cordes est ample, leurs tirés sont alanguis. Le grave des violoncelles et des contrebasses est extrêmement sonore : leurs instruments ont trouvé la fréquence pour entrer en résonance avec la voûte de la chapelle. L'orchestre joue sur instruments d'époque et, dans un même esprit de reconstitution historique, le chœur chante dans un latin francisé. D'ordinaire, le latin se prononce comme de l'italien et la différence avec une prononciation "françoise" reconstituée s'entend surtout dans les u, prononcé ü comme dans le u d'urluberlu, et non pas "ou".
Le chœur entièrement féminin se compose de 12 sopranos et de 12 contraltos. Placées de part et d'autre de l'autel, elles auraient pu être divisées en deux groupes de voix égales avec les sopranos à gauche et les altos à droite. C'est un autre choix qui a été fait : 6 sopranos et 6 contraltos sont rassemblés, un groupe à gauche et l'autre à droite (l'effet un peu plat de stéréophonie est ainsi évité, au profit d'un plus grand mariage vocal, ce qui est somme toute logique pour un concert dans une chapelle).
Hervé Niquet (© Nicole Bergé)
Le programme s'ouvre par la Messe ad majorem dei gloriam d'André Campra. Le Sanctus (qui n'est donc pas prononcé "Sanctous") est d'une tendre tristesse, allégée dans l'Hosanna conclusif. Le ton redevient toutefois nostalgique et ces changements de caractère empruntant à des registres davantage mélancoliques sont l'une des principales caractéristiques de cette interprétation. Le Miserere nobis est chanté très droit, avec un chœur au son très ample mais qui avance grâce aux gestes affirmés du chef. Après Campra ce sont trois œuvres religieuses de Vivaldi qui constituent la première moitié du concert : les Psaumes 121 (Laetatus sum dans toute sa joie d'aller vers l'éternel) et 113 (In Exitu Israel avec la fuite d'Egypte) ainsi que le Magnificat RV 610 [RV désigne le musicologue Ryom qui a constitué un catalogue numéroté des œuvres de Vivialdi] en sol mineur ; cette interprétation du cantique offre toute la réjouissance de la vierge Marie à laquelle vient d'être annoncé son heureux événement. Après l'entracte, le public a le droit au Psaume 147 célébrant le Dieu constructeur de Jérusalem sur un ensemble allègre en imitation (des voix rentrant tour à tour sur les mêmes lignes), enfin place au Gloria per l'Ospedale RV 589 en ré majeur. C'est un grand plaisir que d'entendre ainsi le répertoire sacré de Vivaldi, une partie de son catalogue moins connue que les concertos et opéras (sur les 600 opus de son catalogue, Vivaldi n'a produit qu'une quarantaine de pièces religieuses).
La communion entre le chef et ses musiciens est unique. Nul ne peut s'empêcher de sourire devant l'humour et le talent d'Hervé Niquet. Il admire le plafond où résonne le son de l'ensemble, prend à partie le public pour admirer avec lui. Il lance les différents pupitres d'un regard malicieux, fait mine de se tromper, lance le mauvais pupitre exprès puis se retourne sur ceux qui sont correctement partis sans son départ. Le public applaudit chaleureusement la fin de chaque morceau mais les plus sonores des félicitations sont les bravi qu'Hervé Niquet adresse lui-même à ses musiciens. Cet esprit réjouissant entraîne un sourire radieux chez les instrumentistes et les choristes avec pour effet que le chant est clair, radieux grâce aux commissures de lèvres tirées.
Hervé Niquet (© Eric Manas)