Salle Cortot, sur les traces du Comte de Villamediana
C’est sur les pas du Comte de Villamediana, écrivain espagnol contemporain de Cervantès, que La Chimera et Céline Scheen entraînent le public. Le Comte, connu pour sa vie sulfureuse, est exilé deux fois, puis finit par mourir assassiné – d’où l’issue de ces carnets de voyage, dont le programme se divise en trois parties : le premier exil du comte, son second exil et son tout dernier, « la mort », représenté par l’air Mille Regretz de Josquin Desprez et Todos los bienes del mundo de Juan del Encina. L’itinéraire du concert débute cependant par l’Espagne et la musique du Siècle d’Or, continue en France, dans les Flandres et monte vers l’Angleterre, puis redescend en Italie, jusqu’à l’ultime voyage du Comte.
L’ensemble La Chimera conduit joyeusement le public depuis ses violes de gambes, violons et théorbes qui résonnent avec éclat dans toute la salle. La coordination des instruments, de l’enchaînement des morceaux est aisée et la musique est rendue avec finesse et subtilité, d’autant plus magnifiée par la brillance relevée de ses couleurs. Depuis ses cordes pincées, Eduardo Egüez dirige l’ensemble avec attention et bienveillance, tandis qu’il alterne sans cesse entre le théorbe, le luth et les deux guitares posées à ses pieds, démontrant lui-même un jeu rapide et précis en bondissant d’une corde à l’autre.
La soprano Céline Scheen les accompagne pour les parties chantées, en passant de l’espagnol au français, de l’anglais à l’italien. Elle présente un timbre chaud et un soprano plutôt sombre, varié de belles saillies aiguës qui éclairent et nuancent sa palette. Le chant cependant, peine à se poser au début (la chanteuse semblant particulièrement tendue, l'articulation et le souffle en pâtissent, surtout en espagnol). C’est avec les airs anglais et Sweet exclude me not de Thomas Campion qu’elle gagne en assurance et enfin, se fond avec aisance dans la musique, s’appropriant avec gaieté les airs italiens d’Allegri, de Monteverdi, Falconieri et des autres, dont Torna, deh torna de Caccini, où elle est exceptionnellement accompagnée d’une petite danse en mimes par Carolina Egüez qui délaisse sa viole de gambe le temps d’un morceau. Céline Scheen partage également les airs à deux voix avec Lixsania Fernández, elle aussi, autrement, à la viole de gambe et présentant un timbre doux et chaleureux se mêlant avec harmonie à celui de la soprano.
Après Todos los bienes del mundo qui clôt le programme, les artistes se lancent dans le bis avec Folle è ben che si crede de Tarquinio Merula, repris avec brio par Céline Scheen désormais guillerette et lumineuse. Le concert s'achève alors sous un vibrant tonnerre d'applaudissements de la part du public, qui sort l’esprit alerte, parcouru des éclats des souvenirs de ce voyage baroque sur les traces aventureuses du Comte de Villamediana.