Schubert Box à l’Opéra de Nice : magique et lyrique schubertiade
Il aura fallu faire passer par la fenêtre, à l’aide d’une grue-araignée, la box : cube ou boîte à l’intérieur de laquelle évoluent les protagonistes du dispositif et qui renferme un Objet Musical Créatif, commandé et produit par l’Opéra de Limoges. La structure cubique est drapée sur trois côtés. Au sol, des reliefs striés, sur lesquels se posent les instrumentistes, finissent de donner une dimension à la fois esthétique et organique à cette « boîte à musique ». Les musiciens y restent réunis ensemble, formant un quatuor plus qu’un trio avec voix. Ils sont en effet réunis par leurs costumes similaires (cols Mao bleus surjetés de rouge dans une sobre élégance de concert), l’harmonie de leurs voix et leurs rapprochements scéniques (les instrumentistes forment un triangle qui attire et dont s'approche la chanteuse).
L’intérieur de cette boîte immersive (scénographie de Clément Miglierina) est animé de lumières (Christophe Pitoiset) froides ou dorées avec vidéos de Jean-Baptiste Beïs et graphismes de Julien Roques. Des projections mettent en exergue des mots importants de l’univers romantique (mort, rose, nuit), résonnant avec des images plus ou moins abstraites (fils, nervures, entrelacs, lune, bateau, rose) entre ombres chinoises et aplats de couleur. Les titres ou incipit traduits des poèmes sont affichés sur le côté, laissant l’expressivité du chant et du dispositif illustrer le texte (invitant le spectateur à lire et relire les poèmes avant et après le spectacle).
Le programme ressemble à un récital, une “Schubertiade” (concerts de salon où ses œuvres étaient jouées) de 10 Lieder, plus ou moins connus, extraits à travers le corpus du compositeur maître du genre. Ces Lieder sont réagencés de manière à faire sens, sur les plans musicaux, formels et émotionnels : en suivant l’ombre du wanderer (voyageur solitaire indissociable de cette musique et de ce courant artistique), tout en parcourant une grande diversité d’émotions, à travers Die junge Nonne (La Jeune nonne), Heidenröslein (Petite rose) redonné en bis, Gretchen am Spinnrade (Marguerite au rouet), An den Mond (À la lune), ou encore Im Frühling (Au printemps). Ces mélodies pour piano-voix ont été transcrites par Bernard Cavanna pour les musiciens de ce projet avec une sensibilité à fleur de peau. Soprano (Marion Tassou), violon (Elina Kuperman), violoncelle (Julien Lazignac) et accordéon (Frédéric Langlais) montrent leur grande cohésion, complicité, engagement, dépassant la notion d'accompagnement pour former un quatuor. Instrumentistes et compositeur tirent profit de la richesse de ces timbres au service des textures de la musique de Schubert et tout cet univers inspire aussi à Cavanna, son Trio n°1, au cœur de ce concert (la chanteuse se dissimulant alors derrière la boîte). L'œuvre approfondit l’univers de Schubert avec le métier de rythmicien et de timbriste de Cavanna, sa manière propre d’appréhender, en dehors de tout geste de citation ou de plagiat, la musique-racine de Schubert.
Pour les Lieder de Schubert, la voix de la chanteuse Marion Tassou est puissante, sonore, aiguisée. Elle entre dans la matière avec gravité. Son vibrato, parfois large, est au service de l’expression et de l’équilibre avec ses partenaires. La diction est claire, la ligne vocale bien conduite. Si les notes tenues semblent avoir tendance à s’incliner, c’est pour mieux produire le legato, intense, dont le répertoire a besoin. Une exacerbation vocale, façon cabaret expressionniste, permet de réentendre un répertoire parfois corseté, grâce à un soutien permanent. Le timbre est fait de tonalités différentes de feuilles d’automne, nuances d’or et de roux, avec ses nervures translucides, en écho aux motifs vidéo, souvent pris dans la nature, milieu romantique, nourricier et originel. Ses grands gestes sémaphores viennent prolonger et matérialiser l’expression. Le pianissimo reste intense, tandis que l’aigu n’est jamais criard, en dépit d’une interprétation qui frôle les dynamiques extrêmes. Elle vient puiser dans l’ombre de sa gorge, qu’elle élève jusqu’au larynx, les sons les plus longs, pour les éclairer progressivement, alors qu’elle parvient à quitter le son par une caresse douloureuse. Elle se plie, en écho au travail de transcription, à l’instrument qui fait parfois unisson avec elle.
Le public, aussi informé que conquis, réserve des applaudissements hésitants entre les pièces, pour finalement saluer la beauté sonore et plastique d’un concert-installation, qui permet au regard, à l’oreille et à l’épiderme, de saisir le message pudique et profond de Schubert.
[EN DIRECT] Nous (re)découvrons les Lieder de Schubert avec la « Schubert Box » ! Une proposition plastique et musicale, nous amenant dans un univers poétique @BertrandRossi06 @VilledeNice pic.twitter.com/pnmDynSs8H
— Opéra de Nice (@Operadenice) 12 janvier 2023