L’Opéra National de Bordeaux voyage en terre Shakespearienne
Loïc Richard, comédien et hôte de cette soirée, l’annonce dès les premiers instants : “Le génie dramatique de William Shakespeare infuse, depuis plus de quatre-cents ans, tous les domaines de la création artistique. Son influence est si grande que même dans les situations les plus triviales de notre vie quotidienne, il a quelque chose à nous dire”.
En s’avançant devant un public curieux d’entendre ce que l’Opéra du XIXe siècle a fait des œuvres de Shakespeare, Loïc Richard rappelle la passion que les compositeurs ont eue pour la puissance dramatique du père de Roméo et Juliette. Des noms bien connus sont annoncés dans le programme : Charles Gounod et Vincenzo Bellini (Roméo et Juliette et I Capuletti e i Montecchi), Ambroise Thomas et Hector Berlioz (Hamlet) et, bien sûr, Verdi (Macbeth).
Si chacune de ces œuvres est un jalon de l’Histoire de l’Opéra, entendre un chœur en interpréter des extraits n’a pas la même fonction que de voir devant soi se dérouler un drame incarné par ses personnages centraux. Les interventions des chœurs sont en général plutôt faites pour planter un décor ou être les témoins narratifs d’une action qui se déroule devant leurs yeux, mais leur puissance les rend parfois protagoniste. La présence de Loïc Richard unifie le tout en un ensemble de sens et rappelle le contexte des œuvres interprétées. Pour le plaisir du verbe, quelques extraits de monologues célèbres éclairent le récit de la soirée, faisant d’un simple récital une plongée dans l’univers shakespearien.
Une fois le public emporté dans cette courte odyssée, le Chœur de l’Opéra National de Bordeaux peut exposer son savoir-faire. En français ou en italien, le style est à chaque fois servi par des interprètes qui savent restituer avec brio la grandeur de ces chœurs d’Opéra. L’arrivée d’un chef assistant comme Alexis Duffaure, habitué à un travail de précision harmonique dans des répertoires qui obligent à la finesse, a apporté des qualités précieuses dans une maison d’Opéra habituée à l’enchaînement rigoureux d’une programmation très variée. Pour Berlioz par exemple, la palette des couleurs est riche, et la complexité en est restituée avec soin.
Sur scène, la direction énergique du napolitain Salvatore Caputo (aux côtés du grand métier aussi impeccable qu'indispensable et trop souvent dans l'ombre de la pianiste cheffe de chant Martine Marcuz) trouve un répondant parfois spectaculaire dans l’attaque franche d’interventions souvent délicates à négocier, tant dans la mise en place rythmique que dans la clarté du discours musical. Sous son geste généreux, les chanteurs répondent avec ferveur, et le résultat est assez impressionnant dans les passages les plus enlevés. Bien qu’à peine déséquilibré du point de vue des effectifs, l’ensemble affiche une cohérence que la pléthore de ténors et la présence du pupitre de sopranos n'éclipsent que rarement. Les voix aiguës savent là encore se faire entendre mais les basses et les alti ne sont pas en reste, affichant leur cohérence dans quelques interventions saillantes.
Emballé par cette soirée de musique au pays de Shakespeare, le public bordelais, fidèle à son chœur, applaudit avec ferveur la prestation. Les travées de l’Auditorium sont assez clairsemées, mais cela n'est lié ni à la qualité ni à l'intérêt du concert. Une chose est sûre : pour relever ce défi qui s'impose à travers le monde culturel, l’Opéra National de Bordeaux peut compter sur ses forces artistiques, prêtes à répondre. D’une même voix !