L'Académie de l'Opéra de Paris fait sa rentrée 2022 en concert scénique
Le traditionnel concert d'ouverture de saison dépasse le traditionnel cadre du récital-audition avec l'apport de la metteuse en scène en résidence Victoria Sitjà. Ce "dépassement" est toutefois d'abord mesuré et même maladroit (leur première traversée volontairement inquiète du plateau sombre est exécutée comme ce qu'elle est : un exercice de théâtre de premiers cours) mais travailler tous ces aspects est aussi l'enjeu de cette Académie. Puis, l'espace de l'Amphithéâtre est progressivement investi, et un intéressant jeu de costumes permet de dédoubler certains personnages. Les chanteurs sont ainsi sollicités pour jouer en chantant mais aussi sans chanter (entrant avant leurs airs et restant après).
La soirée n'est pas construite comme un opéra imposant un axe narratif constant, mais comme une suite de tableaux qui se composent presque en opus imaginaire avec quatre actes distincts, chacun dédié à un opéra, avec des airs et culminant sur un ensemble, chacun avec son accompagnement (au piano puis en orchestre de chambre pour le dernier). Quatre actes qui auraient dû être cinq mais le chanteur chargé d'incarner Malatesta étant souffrant (non pas de la tête mais d'une laryngite), c'est plus tard dans la saison que l'occasion sera donnée de découvrir sa voix. Ce sont toutefois pas moins de 22 académiciens (chant, instruments et metteuse en scène) qui sont réunis pour cette rentrée devant un public passionné (et pas seulement de passionnés).
La soirée s'ouvre avec Beethoven, par les deux versions de son unique opéra (Fidelio / Leonore) avec d'abord deux voix aux moyens encore bruts et tranchants (mais il s'agit de deux nouvelles recrues de l'Académie). La soprano hongroise Boglárka Brindás fait vibrer ses résonances mais à l'issue de phrases encore droites et roides (notamment dans le médium-aigu). Elle ne rechigne toutefois pas à lancer la projection vers les frontières de l'ambitus. Le ténor Thomas Ricart dispose lui aussi d'un son affirmé mais aux dessins encore très droits notamment lors de ses fortes montées en volume (qu'il sait toutefois choisir pour les moments plus dramatiques et dont il sait tenir le souffle).
Le morceau suivant, réunissant la soprano russe Margarita Polonskaya et la soprano ukrainienne Teona Todua (toutes deux nouvelles Académiciennes également) devient ce soir un symbole entre tous de la concorde internationale trouvée par cette Académie et permise par l'art. Concorde qui se déploie sur la richesse de leur matière vocale réunie, notamment par la première (qui semble d'abord être mezzo avec des graves si chaleureux, mais qui déploie ensuite des aigus rayonnants et non moins riches), tandis que la seconde balaye rapidement une légère appréhension de rentrée pour rassurer ses phrasés et le public, d'une ligne tenue et radieuse comme sa robe de soirée scintillante.
Adrien Mathonat fait ensuite son entrée en Rocco (et lui aussi dans cette maison) par l'alliage de son timbre et de ses accents toniques. Ceux-ci rompent toutefois encore le déploiement de sa matière vocale, mais il monte aisément vers les aigus en gardant sa rondeur et en intensifiant les sommets.
Dix jours après avoir fait la rentrée de Garnier dans La Cenerentola, Martina Russomanno ouvre le deuxième "acte" de ce concert, dédié à Idomeneo de Mozart. Sa grande aisance à vocaliser rappelle qu'elle entame ici sa deuxième année, mais le son, tendu ce soir, ne s'épanouit pas. Ses tenues sont néanmoins contrôlées et croissent en vibrato sur la constance d'un même volume, le tout sans oublier bien sûr l'aisance de sa langue italienne maternelle et chantée, ainsi qu'un grand investissement émotionnel qui recueille de grands applaudissements.
Seray Pinar fait ses premiers pas devant ce public, mais il n'y paraît pas tant son jeu est dynamique et investi : elle va jusqu'à pousser le piano et s'allonger au sol devant Ilia. Cet investissement sert ses phrasés mais ils manquent parfois d'air. Vocalement, elle impressionne surtout par son large parcours de l'ambitus, des graves ancrés jusqu'aux aigus bien appuyés et vibrés.
Yiorgo Ioannou fait un retour fracassant dans ces murs, dévalant les travées en entonnant le "Largo al factotum" avec une virtuosité très expressive. Le baryton chypriote assume en effet un tempo allant, sans amoindrir la richesse de ses caractères vocaux et dramatiques, chant et jeu étant à l'unisson d'un registre bouffe, bondissant et piquant. Le résultat est rendu d'autant plus éloquent avec le jeu du pianiste Guillem Aubry, survolant le clavier avec la rapidité exigée -et exigeante- tout en sachant différencier les plans sonores. Le tout culmine avec un numéro de danse de cabaret (réunissant Yiorgo Ioannou, Laurence Kilsby et Alejandro Baliñas Vieites) au plus grand plaisir et amusement du public.
Rossini toujours, Alejandro Baliñas Vieites incarne alors Mustafà d'un chant vrombissant et rebondi, montant en endurance et souplesse (mais diminuant d'autant la matière de son chant).
La soirée se conclut avec La Finta Giardiniera de Mozart accompagnée par un orchestre de chambre (avec le piano de Mariam Bombrun, qui assied pleinement les graves en compagnie de la contrebassiste Sulivan Loiseau et du violoncelliste Auguste Rahon).
Pour l'occasion de trois scènes (dont l'ensemble Final du premier acte), deux pianistes quittent alors leur instrument pour assumer la direction d'orchestre. Carlos Sanchis Aguirre dirige avec élégance de sa petite baguette mais dans une gestuelle appliquée et scolaire (en cette rentrée), à l'inverse de Ramon Theobald à la direction technique mais souple et expressive.
Marine Chagnon confirme ses qualités (hormis quelques élans pressés dans les aigus) avec son intensité de médium et de tragédienne, envoyant, de son regard et de sa voix, des foudres auxquelles le public répond pleinement.
Laurence Kilsby fait ce soir sa première rentrée maison, mais -hormis son âge- il est déjà bien plus qu'un espoir et qu'un Académicien. En témoignent ses engagements déjà remarqués et sa voix affirmée dans le médium, qu'il soutient en montant vers l'aigu avec cette couleur so british, à la fois douce et vigoureuse.
Enfin et lui aussi parmi les nouveaux, Thomas Ricart perce les ensembles de sa voix très placée, marquée d'un appui ferme comme sa projection.
L'Amphithéâtre Bastille plein comme un neuf fait un très grand succès à cette rentrée musicale et à tous les artistes augurant du meilleur pour cette nouvelle saison et la suite de leurs parcours.