Hamlet de Brett Dean en direct du Met
Créée au Festival de Glyndebourne en 2017 dans cette même mise en scène avec une distribution majoritairement identique, cette vision macabre et angoissante d'Hamlet traverse ainsi deux fois l'Atlantique, sur les planches et les ondes. Les plans travaillés en direct permettent de s'immerger au plus près du drame Shakespearien, celui d'un homme dévasté par l’assassinat de son père par son oncle et envahi par la soif de vengeance, dans une tension constante qui culminera sur un combat à l'épée et un final sanglant. Les visages peints en blanc accentuent le côté mortifère de la pièce que reflètent les incarnations dramatiques. Le décor de Ralph Myers s’articule autour d'une vaste pièce châtelaine et d'un cimetière avec le spectre du Roi (où se creuse déjà la tombe qui sera celle d'Ophélie peu de temps après). Les somptueux costumes conçus par Alice Babidge, apportent la gaité des robes colorées, pour mieux instaurer une -fausse- atmosphère de fête, dans les lourds et sinistres tableaux illuminés par Jon Clark.
Côté musical, l’Orchestre du Metropolitan Opera s’applique à nuancer l’œuvre entre passages suspendus et assourdissants. Le chef Nicholas Carter (pour ses débuts dans la maison) exploite jusqu’au moindre détail cette partition qui réquisitionne des objets du quotidien (bouteilles en plastique ou feuilles spécifiques obtenant de nouvelles textures et sonorités captivantes). Le public est ainsi accompagné, entre sons et bruits, dans ce mystère spectral, sépulcral et vespéral.
Triomphant dans le rôle d’Hamlet, le ténor Allan Clayton déploie, dans une justesse poignante, sa voix flexible et sans faille, dotée d’aigus riches et charnus. L’exécution généreuse s'adapte au rôle, captivant évidemment l'auditoire dès son air (To be) "Or not to be".
Succédant à Barbara Hannigan créatrice du rôle, la soprano Brenda Rae illumine le personnage d’Ophélie à travers une interprétation sensible et d'une voix infiniment aérienne, le tout parachevé d'une gestuelle volontairement excessive et étrange. Le personnage macabre grandit jusqu’à sa scène de la folie, apogée de sa performance, la chanteuse apparaissant en sous-vêtements et les cheveux mouillés, laissant présager sa future noyade.
La mezzo-soprano Sarah Connolly, Reine Gertrude tiraillée entre sentiments et devoirs, est majestueuse et complice avec ses partenaires, déployant un timbre naturellement vibrant et chatoyant (mais dont les aigus demeurent un peu serrés).
Le baryton Rod Gilfry endosse le dur rôle du Roi Claudius (traitre et oncle d'Hamlet) mais en sachant se démarquer par son allure solennelle et martiale. La voix, certes bien présente et déclamée, semble toutefois un peu terne, manquant de musicalité et de justesse.
Dans un duo enjoué et juvénile, les jeunes contre-ténors Aryeh Nussbaum Cohen en Rosencrantz et Christopher Lowrey en Guildenstern démontrent ensemble une exécution musicale rigoureusement et même lumineuse, malgré la difficulté à chanter des intervalles serrés créant un frottement dissonant bien calculé.
En Laërte, le ténor David Butt Philip commence par un début hésitant, les regards vers le chef d’orchestre faisant obstacle son jeu scénique, mais il affirme ensuite (avec l'appui de ses collègues) sa voix mélodieuse. Le ténor William Burden offre à Polonius l'engagement de son caractère parfois amusant, d'une voix pincée et théâtrale (jusqu'à sa mort, particulièrement sanglante).
Le baryton Jacques Imbrailo joue le fidèle Horatio qui épaulera son ami Hamlet jusqu’à la mort, d’une voix sincère et soyeuse, ses lignes projetées avec confiance. Enfin, les scènes glaçantes où intervient la voix grave de John Relyea (spectre du Roi Hamlet père) sont aussi impressionnantes et intenses que touchantes par la profondeur sonore accentuée de cris agonisants provenant du chœur en fosse. Le timbre particulièrement caverneux du soliste se prête parfaitement à l’exigence musicale de graves extrêmes.
Le public offre un accueil correspondant à cette soirée explosive et riche en émotions, qui conclut la saison de retransmissions Metropolitan Live in HD.