Requiem de Verdi, un équilibre fragile à la Philharmonie de Paris
Le Requiem de Verdi, « opéra en habits ecclésiastiques » (qui réutilise, par exemple, dans le Lacrimosa la musique d’un duo provenant de Don Carlos qu’il avait dû couper pour adapter son opéra aux exigences horaires de l’Opéra de Paris) exige des forces immenses et égales, constituées d’un orchestre conséquent, d'une centaine de choristes, de quatre solistes et d’un chef devant mener les troupes dans une cohésion sonore insufflant sa vision de l’œuvre aussi bien dans le recueillement, l’apaisement ou l’angoisse terrifiante induite par le fameux Dies Irae (qui intervient comme un leitmotiv dans cet « opéra de la mort »).
Le chef finlandais Jukka-Pekka Saraste impose d’emblée cette marque à coups incisifs de baguette et de gestes d’appels francs. Optant pour l’équilibre et la précision, les tempi sont raisonnables, l’emphase jamais exagérée et les phrasés sculptés avec netteté. L’Orchestre national du Capitole de Toulouse répond ainsi au plus près aux intentions du chef, offrant des nuances captivantes et intervenant dans un ensemble cohérent.
L’équilibre entre le chœur et l’orchestre semble toutefois fragilisé par le volume sonore de la masse instrumentale lors des tutti flamboyants, contraignant le Chœur Orfeón Donostiarra à des nuances maximales dans le forte, avec pour conséquence des sons quelque peu criards chez les sopranos et une justesse pas toujours atteinte pour les ténors. Ce chœur, formé de chanteurs non professionnels, préparé par José Antonio Sáinz-Alfaro, excelle cependant dans la délicatesse que renforce le doux chuintement des sifflantes (rappelant l’origine espagnole de l’ensemble).
Mais l’équilibre est également mis à mal au niveau des solistes, les gabarits vocaux étant fort distincts, certains nettement inadéquats aux exigences de cette partition (que Verdi confia aux protagonistes de son Aïda).
Le ténor Airam Hernández émerge vaillamment sur le Kyrie eleison d’une voix aussi assurée qu'équilibrée. Il module son appui en fonction du texte, la projection infaillible évoquant l’espoir, tandis que les sons délicieusement mixtés évoquent le Dieu miséricordieux.
Le timbre corsé de la mezzo-soprano Aude Extrémo affirme également sa présence constamment. Avec autorité, elle délivre la prophétie du Liber scriptus, les aigus projetés solidement et le grave renforcé par la voix de poitrine, le tout dans une homogénéité infaillible. Elle porte le drame du mystère de la mort avec intensité, la couleur sombre de ses voyelles (très couvertes) exacerbant l’inquiétude.
Remplaçant Rachel Willis-Sorensen initialement prévue, et semblant venir d'un tout autre autre univers musical, la soprano Susanne Bernhard peine avec l’intensité des pages verdiennes. Elle s'affirme néanmoins dans les hauteurs de sons filés irradiant, mais le retour sur terre est plus problématique, le médium et le grave étant quasi inexistants. Vivant au premier degré la frayeur du texte, son visage inquiet se tournant sans cesse vers le chef, elle achève l'œuvre dans un murmure tendu.
Adam Palka possède l’ambitus idoine pour assumer la partie de basse de la partition, cependant, dans une volonté d’intensité, il perd l’accroche vocale, rendant son émission quelque peu poussive. Sa voix parvient à un équilibre touchant dans l’imploration ("Voca Me Cum Benedictis" Appelez-moi parmi les élus), ses nuances piano véhiculant une forte émotion. Cependant l’immense ouverture de sa bouche déforme sensiblement les voyelles, rendant le texte difficilement compréhensible.
A l’issue du concert la salle pleine clame son enthousiasme pour le Requiem de Verdi, œuvre irrésistible, touchante d’humanité.