Volubile et habile Ariane à Naxos à Limoges
Dans une saynète vidéo tournée dans les coulisses de l’Opéra de Limoges, le Maître de musique et le Maître de danse s’interrogent, par un dialogue emprunté au Bourgeois Gentilhomme, sur le rapport entre la création artistique et l’argent, à travers la figure du mécène, représenté dans cette Ariane à Naxos de Strauss, par la figure du Majordome (Fabien Leriche), ici un manipulateur sadique (qui semble être lui-même le maître des lieux) donnant ses ordres par haut-parleur, s’amusant du spectacle offert par les artistes cherchant à s’adapter à ses demandes. Sur scène, règne le désordre voulu par le livret dans le Prologue, les personnages et leurs interprètes s’agitant dans une double mise en abyme (la mise en scène exposant les artistes se préparant à jouer des artistes se préparant à jouer une pièce). La direction d’acteurs, fine et inventive, ajoute des intrigues de second plan, sur scène ou en vidéo, au point que le spectateur ne sait parfois plus où poser son regard.
Dans la seconde partie, montrant l’opéra qui résulte de ces répétitions, les personnages sont plongés dans la salle de réunion d’une entreprise dont le logo, un N (comme Naxos), s’affiche dans une anamorphose imposante, qui se déforme rapidement, afin de signifier que Naxos est un espace de fiction, lorsque la table qui trône au centre et dont la nappe forme une partie du visuel, se meut sur une tournette. Les solistes interprétant Ariane et Bacchus, mettant leurs querelles personnelles de côté pour servir leurs personnages, peuvent s’élancer dans un duo d’amour où la sincérité des faux sentiments triomphe.
Camille Schnoor effectue sa prise du rôle d’Ariane. Très sobre mais intense dans son jeu (elle se fait animale au fur et à mesure que son cœur s’abandonne), elle déploie une voix dense (mais qui s’éteint légèrement dans le grave et se trouve parfois légèrement couverte par l’orchestre), pétrie dans le drame, au vibrato calme et noble. Son souffle nourri lui permet d’offrir une diction très articulée et de longues tenues de notes, maîtrisées. Son Bacchus est interprété par Bryan Register qui se rit de l’intensité du rôle. Son timbre, rugueux et fier, reste vaillant et nourri tout au long de sa longue scène finale.
Le baryton allemand Christian Miedl campe un Maître de musique dépassé par les évènements, d’une voix bien émise et articulée, au timbre boisé et au jeu incisif. Julie Robard-Gendre marque les esprits en Compositeur par la brillance de sa voix chaude et puissante au timbre profond et aux graves sûrs. Comme sa composition scénique, son phrasé est construit, voire parfois emporté dans un lyrisme poignant. Elle construit une relation ambiguë avec la Zerbinetta de Liudmila Lokaichuk. Cette dernière semble forcer sa nature pour incarner la légèreté de son personnage, ce qui impacte l’éclat de sa voix pourtant sucrée. Dans la seconde partie, elle aborde son redoutable air pyrotechnique avec une fraicheur retrouvée, vocalisant avec précision (sans toutefois se montrer aussi piquante que nécessaire), ce qui lui vaut l’enthousiasme du public.
Les quatre personnages de Commedia dell'arte, enfants terribles et insouciants, se montrent à la fois turbulents, goguenards et dilettantes. Paul Schweinester mène la troupe en Maître de danse et Brighella (dansant, lui aussi, sans perturber sa ligne vocale) de sa voix franche qui s’épanouit dans le registre médian, mais se voile légèrement dans l’aigu. En Officier et Scaramouche, Léo Vermot-Desroches semble s’amuser de son rôle et met en avant l’ampleur d’une ligne vocale bien conduite, avec un timbre ferme et coloré, sombre dans le médium. Christophe Gay incarne avec malice le Perruquier et un Arlequin suspendu d’une voix assurée au timbre léger. Sa voix mature émet des aigus appuyés par un phrasé vif. A la fois Laquais et Truffaldin, Nicolas Brooymans est le plus en retrait des quatre compères. Sa voix bien assise laisse entendre un riche grave, un peu mat parfois, tandis que son phrasé percutant bénéficie d’une diction précise.
Jeanne Mendoche en Najade prend quelques minutes pour chauffer pleinement sa voix au timbre pur et sémillant, qui s’épanouit plus dans l’aigu que dans le médium. En Écho, Iida Antola laisse entendre une voix épaisse et douce au medium chaud et à l’aigu fin. En Dryade enfin, Agata Schmidt dispose d’un timbre riche et éclatant, très coloré.
Robert Tuohy dirige l’Orchestre de l’Opéra de Limoges dont il est Directeur musical jusqu’à la fin de la saison. D’une gestique sobre, claire et précise, il guide ses musiciens pour mettre au mieux les solistes en valeur et veille sur la complexe cohérence rythmique des ensembles. L’orchestre n’en est pas moins large et vibrant, sans toutefois pétiller pleinement dans les incursions comiques de la partition.
Alors que le Majordome est ligoté par les artistes, qui par la qualité de leurs interprétations ont eu raison de ses sarcasmes, les interprètes quittent la salle de réunion de Naxos, puis reviennent sous les applaudissements chaleureux du public, qui salue avec autant d’enthousiasme l’orchestre et l’équipe de mise en scène.