Idoménée, Roi à Massy
Le rideau de l’Opéra de Massy se lève sur un décor sombre (de James Brandily) fait de quelques rochers noirs, au bord d'une mer hellénique. Dans ce cadre épuré, inspiré de l’univers en noir et blanc du photographe italien Mario Giacomelli, le metteur en scène Bernard Lévy caractérise chaque acte de cet opéra par quelques éléments de décors et très peu d’accessoires : un lustre et un grand rideau transparent pour illustrer le palais dans le premier acte, un grand mur de cuivre attaqué par l’air marin pour le deuxième et un arbre fleuri pour le dernier. Les lumières de Christian Pinaud jouent avec ce décor pour y mettre en valeur des protagonistes (notamment la lueur d'or dans les plis du rideau du premier acte, même si les raisons pour lesquelles ce rideau se lève parfois pour immédiatement se baisser, restent mystérieuses). Le fond de scène est habillé d'images abstraites, discrètement animées en vidéo par Florent Fouquet, rappelant les rochers par des traits horizontaux et le rideau par des traits verticaux. Les costumes signés Céline Perrigon font aussi preuve d’une relative sobriété, tous en noir et blanc excepté le long manteau rouge d’Idomeneo, dans un style proche des années 1950 ou 60. Ce choix d’une scénographie sobre et épurée, non moins appréciable pour autant, recentre ainsi l’attention sur les qualités de la distribution vocale permettant justement d’apprécier toute la profondeur dramatique et musicale de l’œuvre créée par Mozart et son librettiste Giambattista Varesco.

Après une ouverture aux phrasés dramatiques à propos, contrastés sans exagération et agréablement élancés, grâce à la direction très engagée de David Stern, l’auditeur est immédiatement charmé par la voix et l’interprétation de la soprano Amel Brahim-Djelloul qui personnifie la très attachante Ilia. Son timbre tranchant et brillant, particulièrement dans les aigus, est projeté avec soin par un vibrato maîtrisé selon le propos, tout en participant au soutien de la ligne. Le sens de ses paroles est alors tout à fait limpide, magnifié par son investissement émotionnel.
Idamante est incarné par la mezzo-soprano Adèle Charvet, au timbre rond, avec des graves assez suaves. L’amplitude de son vibrato empêche hélas trop souvent de bien comprendre son texte et d’apprécier alors son interprétation à sa juste valeur. Néanmoins, son agilité vocale est indéniable et constante. Elle réussit même à attendrir dans le récitatif.
Electre, réfugiée en Crète et amoureuse d’Idamante, est interprétée par la soprano Serenad Uyar. La présence vocale est d'emblée lumineuse et ronde, soutenue par un vibrato souple et maitrisé avec goût. L’intensité de son interprétation se fait déjà captivante, proposant une personnification d’Electre en diva, mais pour finalement se déchainer : se décoiffant et se roulant par terre, traduisant la jalousie rageuse qui fait sombrer la princesse grecque dans la folie.

Idoménée, Roi de Crète, est incarné par le ténor Krešimir Špicer, dont le timbre très chaleureux pourrait faire croire qu’il est baryton. Sa présence scénique et vocale ne manque pas d’effets puissants. Ses phrasés savent se faire très nuancés et très tendres mais, très souvent, son rôle de monarque dépassé par les évènements le porte à faire démonstration de la musculature vocale. Le public est visiblement admiratif de cette présence, et l'artiste est fort applaudi (bien que ses lignes pourraient davantage s'assouplir, particulièrement dans les vocalises manquant d’élan expressif et de liberté).

Le personnage d'Arbace profite pleinement de la conviction et du timbre chaleureux de Sébastien Droy. Son amplitude vocale traduit également la sagesse de son personnage, calme confident du roi. Son vibrato est bien présent mais n’empêche en rien la compréhension de son texte, porté par des phrasés sensibles et dirigés sans aucune rigidité. Enfin, le public salue aussi les courtes interventions de Bo Xin en Grand prêtre, aux aigus clairs, tendus à propos car expressifs, et aux lignes vocales nuancées avec pertinence.

Le Chœur de l’Opéra-Théâtre de l’Eurométropole de Metz, soutenu par quelques membres du Chœur et Jeune Chœur de l’Opéra de Massy et préparé par Nathalie Marmeuse, est constamment et pleinement convaincant, créant des effets de masse très homogènes, avec des pages tout à fait prenantes (notamment dans les tempêtes). L’Orchestre de l’Opéra de Massy n’est pas en reste, toujours très alerte sous la direction de David Stern. Si très rarement quelques décalages se font craindre, les élans savoureusement dramatiques les corrigent immédiatement. Le timbre des cordes est constamment et agréablement très net. Les cuivres, parfois un rien en retrait, ne manquent toutefois pas de solennité, évidemment à propos lors de l’intervention de Neptune -courte intervention de l’artiste de chœur Nathanaël Kahn diffusée par haut-parleurs depuis le fond de la scène, sans doute pour pouvoir y ajouter de la réverbération et ainsi offrir une impression d’au-delà.

Avec cette œuvre qui se finit bien, par ce chœur joyeux "Scenda Amor, scenda Imeneo" qui clame l’amour, la loyauté et le sacrifice, c’est un message d’espoir que Mozart veut transmettre et que partagent également ce soir l’ensemble des musiciens qui, par la voix de David Stern en début de soirée, expriment une pensée forte pour les populations déplacées (tout comme les Troyens en Crète). Idamante cède à sa bonté en les libérant. Il est proclamé Roi de Crête sous les acclamations de son peuple et des anciens ennemis de son père. Idomeneo est décidément une œuvre qui sait émouvoir et parler encore au public d’aujourd’hui, heureux et reconnaissant.
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Sébastien Droy | Idoménée, roi de Crète par Bernard Lévy (© J-M Molina) |