Une Histoire de la musique au féminin, au Théâtre des Champs-Elysées
À l’occasion de la Journée internationale des droits de la femme, le Théâtre des Champs-Élysées propose un programme spécial centré autour de six compositrices françaises nées au XIXe siècle, hormis une, née en 1993, dont les œuvres ici choisies ont un goût d'inédit (des œuvres de Charlotte Sohy, Germaine Tailleferre, ou encore de Lise Borel, qui assiste elle-même à la représentation et vient saluer à la fin). Le spectateur découvre donc des morceaux variés, alternant entre mélodies chantées et pièces instrumentales, interprétés par un ensemble de seize artistes réunis ce soir. Un mot de soutien aux artistes ukrainiens et russes qui ne peuvent plus s'exprimer est également prononcé avant le concert – puis commence la musique.
Elsa Dreisig et Romain Louveau ouvrent le bal avec les Chansons de Bilitis, non pas celles de Claude Debussy, donc, mais de Rita Strohl. La soprano arrive pieds nus sur scène, dans une robe bohémienne et entame sa mélodie d’une voix claire et joliment colorée, particulièrement appréciable dans la longue partie a cappella de la chanson. Cependant, le morceau est exigeant et malgré la souplesse indéniable du chant, les aigus sont parfois trop arides et manquent de nuance. Elsa Dreisig reviendra après l’entracte (sur des escarpins cette fois-ci) pour chanter Pauline Viardot, rendue avec beaucoup plus d’aisance et de grâce.
Lui succède Stéphane Degout, également accompagné de Romain Louveau, qui présente par ailleurs un jeu nuancé, précis et attentif au chanteur, formant ainsi, avec Elsa Dreisig comme Stéphane Degout, un duo pleinement équilibré. Pour les Six poésies sur des poèmes de Baudelaire de Rita Strohl, le baryton déploie quant à lui une interprétation en tension, portée par sa voix sombre et profonde, plus qu’ample, faisant planer dans ce spleen musical une réelle pesanteur qui envahit toute la salle.
Plus légères, mais non moins touchantes, sont les Cinq prières de feu de Lise Borel, composées sur des poèmes d’Alicia Gallienne, feu la cousine du comédien Guillaume Gallienne. Au piano, Laurianne Corneille propose un jeu coloré et pétulant qui s’accorde gracieusement à la voix de Philippe Jaroussky. Le contre-ténor, quant à lui, pénètre avec beaucoup d’émotion et de tendresse les mots et les notes, par son timbre clair et lumineux, par sa voix toujours aussi agile, quoique certains graves sollicitent presque sa voix de poitrine et déséquilibrent légèrement l’harmonie de la ligne. Mais la salle reste maintenue en suspension à son écoute, comme emportée par la mélancolie de l’instant (et il faudra malheureusement la sonnerie d’un téléphone resté allumé pour l’en sortir). Ainsi s’achève la première partie du concert et, sous les applaudissements transportés du public, Lise Borel vient elle-même saluer sur scène.
La seconde partie du concert est consacrée, pour la plupart, aux œuvres instrumentales, où s’illustre notamment le Quatuor Modigliani par son interprétation à la fois pénétrante et élégante de la Fantaisie pour quatuor à cordes et piano de Germaine Tailleferre, ici accompagné du piano de Marie-Josèphe Jude, peut-être trop austère, mais ferme et convaincu. Ils sont rejoints pour le dernier morceau de Mel Bonis par les flûtes de Mathilde Caldérini et Anastasie Lefebvre de Rieux, dans un ensemble de finesse et de nuances chatoyantes.
Le Trio en La mineur de Charlotte Sohy est quant à lui interprété avec une agréable effusion et une certaine langueur par Nikola Nikolov au violon, Xavier Phillips au violoncelle et Célia Oneto Bensaid au piano, laquelle déploie un jeu délicat et sincère. En compagnie d’Elsa Dreisig et d’Héloïse Luzzati au violoncelle, pour Die Sterne de Pauline Viardot, elle forme un trio féminin qui ne manque pas, une fois encore, de conquérir le public.
En farandole sur la scène, les seize artistes reviennent saluer et, sous les applaudissements vigoureux des spectateurs, s’achève cette soirée de découvertes musicales dédiées « à celles que l’on écoutait guère », selon le mot de présentation du programme.
Quel plateau formidable réuni @TCEOPERA par Heloïse Luzzati pour ''Une histoire de la musique au feminin''. Honneur à Rita Strohl, Lise Borel, Pauline Viardot, Charlotte Sohy, Germaine Tailleferre et Mel Bonis. #8mars #lecnmsoutient pic.twitter.com/BVDqyLpsd4
— Jean-Philippe Thiellay (@jpthiellay) 8 mars 2022