Les Sept Péchés capitaux de Brecht & Weill à Caen : simple, basique
Le décor de cette production se veut simple, et cohérent avec la philosophie du théâtre brechtien. Sans aucune allusion ou illusion de lieu défini, des néons suivent les lignes que dessinent les barres en métal d’un échafaudage, comme l’envers d’un décor de cinéma surmonté d’un écran où sont projetées des vidéos de Yann Chapotel. Les images interpellent le public sur les vices et péchés du monde d’aujourd’hui, à revers. L’effervescence du trafic routier et de foules en accéléré illustre ainsi explicitement la frénésie incessante de notre temps qui condamne toute forme de Paresse. Pour la Colère, le spectateur prend la vue subjective du cameraman poursuivant la danseuse jusque dans les coulisses. La tentation se marie au dégoût du surplus pour les images alléchantes des aliments, lancés ou tombant avec sensualité comme dans une publicité télévisée (pour la Gourmandise). Enfin, la Jalousie est illustrée par les images d’un concert de musique populaire, en ce soir même où la jeune vedette locale (le rappeur Orelsan) lance sa nouvelle grande tournée à 2 km du Théâtre : au Zénith de Caen.

Trois autres chansons de Kurt Weill sont ajoutées à l'œuvre (dépassant initialement de peu la demi-heure, elle approche ainsi de l’heure). Quoiqu’elles soient en français alors que l'œuvre est en allemand, elles s’y intègrent comme des parenthèses oniriques et pertinentes.
Le péché mignon du plaisir est ici attisé, aux yeux et aux oreilles. L’accompagnement instrumental est assumé et assuré par des phrasés très nets, dégageant émotion et lyrisme. L’acoustique permet d’apprécier les qualités de l’Orchestre Régional de Normandie dirigé par Benjamin Levy, dynamique, alerte et mordant à souhait avec vigilance et même un brin d’ironie.
Le regard est attiré par l’écran mais captivé par les mouvements de la danseuse Noémie Ettlin, dont la précision et la variété des registres épousent celles de la musique. La conscience moralisatrice de cette Anna est interprétée par la mezzo-soprano Natalie Pérez, d’une voix ronde et même assez veloutée. Le moelleux de son vibrato est parfois très présent (au point d’estomper quelques paroles des chansons). Sa projection s’affirme lorsque l’orchestration reste discrète mais passe un peu en retrait lorsque l’orchestre est un peu plus étoffé.

La pieuse famille d’Anna est incarnée par le quatuor masculin attablé et presque caché derrière l’échafaudage. L’acidité des ensembles, surtout la partie a cappella lors de la Gourmandise, dépeint bien le côté absurde et grinçant de cette famille, aux airs d’habitants de l’Amérique profonde, qui prient incessamment pour la protection d’Anna contre les vices mais avec surtout leur profit en tête.
Si le ténor Camille Tresmontant et le baryton Guillaume Andrieux n’ont pas vraiment de parties solistes, ils complètent les ensembles avec équilibre. À leurs côtés, la présence imposante et profonde de la basse Florent Baffi marque ses intentions tout à fait… maternelles en mère d’Anna. Bien que le plus souvent en fond de scène, sa voix réussit à se faire entendre et même bien comprendre. Un des frères est incarné par le ténor Manuel Nuñez Camelino, dont le timbre poitriné, presque acide, a droit également à quelques courts moments en soliste et donne ainsi un certain caractère vocal à son personnage, notamment soutenu dans des lignes plus longues.

Le public caennais se montre grandement ravi de ce spectacle, particulièrement charmé par les prestations dansées et musicales des artistes solistes et de l’Orchestre Régional de Normandie le tout dans cette lecture assez épurée et néanmoins efficiente de Jacques Osinski.